CRITIQUE RELIGIEUSE

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ANCETRE DU CHAPELET : LA CORDE A NOEUDS
CONF. EPOPEE DE GUILGAMESH

RELIGION DE MESOPOTAMIE UR, MYTHE DU DELUGE DE NOE : ICI
 
 

                                                     

                                                                   OEUVRE COMPLETE (en ligne)                             

                             RELIGIONS ET RELIGION       

                                     De  V. Hugo   

 
                  I : QUERELLES
       

 

I. LE DIMANCHE 

 

 Je n'ai pas entendu le facteur frapper. - Certes !
Votre porte aujourd'hui, monsieur, n'est pas ouverte.
- Ah bah ! - Vous n'aurez pas aujourd'hui de journaux.
- Pourquoi ?
                    Mary, qui vient d'éteindre ses fourneaux,
Est superbe ; elle a mis sa grande coiffe blanche.

- Ni de lettres. - Pourquoi ? - Parce que c'est dimanche.
- Eh bien ? - On ne lit pas de lettres ce jour-là.
- Pourquoi ? - Parce que Dieu fit le monde. Il parla
Et travailla pendant six jours. - Soit. Que m'importe ?
- Le dimanche on ne peut frapper à votre porte.
- Mais pourquoi ? - C'est le jour où Dieu s'est reposé.

Apprendre au maître, impie et français, l'A B C,
C'est beau ; Mary triomphe, et ne se sent pas d'aise,
Étant bonne chrétienne et servante irlandaise.
On entend bourdonner la cloche dans la tour.

Ainsi l'infini va jusqu'au septième jour !
Arrivé là, s'est dit ; l'infini devient morne,
Reste court, et s'arrête épuisé ; c'est sa borne.
Nous appelons cela le dimanche. Il est sûr
Qu'il faut pour faire un ciel bien des rouleaux d'azur,
Qu'un chêne à fabriquer n'est pas un mince arbuste,
Et qu'il faut une échelle étrangement robuste
Et que l'échafaudage ait été bien construit
Pour peindre l'aube à fresque au mur noir de la nuit.
Ainsi ce grand travail qu'on nomme la nature
Ne s'est point terminé sans quelques courbatures !
Ainsi le Tout-Puissant a dit : Je n'en puis plus !
Et las, suant, soufflant, ankylosé, perclu,
Pris d'un vieux rhumatisme incurable à l'échiné,
Après avoir créé le monde, et la machine
Des astres pêle-mêle au fond des horizons,
La vie, et l'engrenage énorme des saisons,
La fleur, l'oiseau, la femme, et l'abîme, et la terre,
Dieu s'est laissé tomber dans son fauteuil Voltaire!

 II. PREMIÈRE REFLEXION

 Pas de religion qui ne blasphème un peu.
L'une en croquemitaine habille le bon Dieu ;
Il fait son paradis du hurlement des âmes ;
Sa cave à son plafond jette un reflet de flammes,
Il grince, et son bonheur est d'avoir un enfer
A remuer avec une fourche de fer.
L'autre à la main lui plante un grand sabre, et l'affuble
D'un uniforme, mal caché par sa chasuble ;
Il a l'obus en bas et la foudre là-haut;
Il était Jehovah, le voilà Sabaoth;
On le fait tambour-maître et général d'armée ;
Il va-t-en guerre. Étant riche en noir de fumée,
Belzébuth jusqu'à Dieu se glisse, et cet escroc
Lui charbonne en riant deux moustaches en croc ;
Le Père-Éternel sent vaguement qu'on le berne,
Se laisse faire, met l'éclair dans sa giberne,
Se voit destitué par le pape, permet
Que la bataille accroche à sa mitre un plumet,
Ferme les yeux sur l'homme, être irrémédiable,
Et, n'étant plus bon Dieu, tâche d'être bon diable.

 

III. LE THÉOLOGIEN

 

O théologien, tu dis :
                            - Rêveurs, penseurs,
En fouillant on ne sait sous quelles épaisseurs,
Vous avez découvert un Dieu sans fin, sans forme ;
Vous niez qu'il se lasse et vous niez qu'il dorme ;
Ce Dieu n'a pas d'histoire. Est-il juif, arien,
Grec, indou, parsi ? Non. Il ne ressemble à rien,
Il n'a pas de légende arrangeable en cantique.
Raisonnons. Croyez-vous ce Dieu-là bien pratique ?
Tu dis : - Un Dieu n'est pas ce que vous supposez.
Un Dieu, c'est une tour dont on fait les fossés.
C'est une silhouette au delà d'un abîme.
Ne point le voir est mal et trop le voir est crime.
L'autel, c'est lui. Jamais la foule n'admettrait
L'être pur, l'infini compliqué par l'abstrait.
Dieu, cela n'est pas, tant que ce n'est pas en pierre.
Il faut une maison pour mettre la prière.
Dieu doit aller, venir, entrer, passer, marcher.
Il a l'ange à sa porte, ainsi qu'un roi l'archer.
Homme, il me faut son pied imprimé sur mon sable.
Et ce pied, c'est le dogme. Un Dieu point saisissable,
Un Dieu sans catéchisme, un Dieu sans bible, un Dieu
Que saint Luc et saint Marc, saint Jean et saint Mathieu
Ne tiennent pas tout vif, et par les quatre membres,
Dont les vieilles n'ont pas le portrait dans leurs chambres,
Dont personne ne peut dire : - Il est ainsi fait,
Il venait voir Moïse, il parlait à Japhet,
Il a tué beaucoup de gens dans l'Idumée,
Il est un, il est trois, il aime la fumée,
Il ne veut pas qu'on touche à ses arbres fruitiers ; -
Un Dieu qu'on chercherait pendant des mois entiers
Sans le voir flamboyer soudain dans les broussailles ;
Un Dieu qui ne connaît ni Rome, ni Versailles,
Et qui ne comprendrait pas grandchose aux sermons,
Aux schémas, aux missels, où nous le renfermons ;
Un Dieu qu'on n'apprend point par demande et réponse,
Dont on ne fourbit pas avec la pierre ponce
L'auréole, dorée au fond d'un cul-de-four
Dans une niche en plâtre au coin du carrefour ;
Un Dieu comme cela ne vaut rien. Qu'il nous montre
Son Pentateuque avec le pour auprès du contre,
Ou son Toldos Jeschut, ou son Zend-Avesta,
Son Verbe que lut Job et qu'Esdras attesta,
Ses psaumes que chantaient les chevaliers de Malte,
Son Talmud ! Mais quoi, rien ! pas d'évangile ! Halte !
Qu'est-ce que ce Dieu-là ? C'est un Dieu sans papiers.
Un Dieu pour paysans, un Jésus pour troupiers,
Voilà ce qu'il nous faut. L'Homme-Dieu. Dogme ou fable,
Il nous le faut visible, il nous le faut mangeable.
Il faut qu'il ait un peu toutes nos passions.
Bons croyants, faisons-nous quelques concessions.
Prenez notre séné, je prends votre rhubarbe.

 

Tu dis : - On n'est pas Dieu sans une grande barbe.
Dieu doit être très vieux. Ça met l'homme à genoux.
Un gibet d'autrefois transfiguré par nous
Charme le peuple, et l'âme en aime le mystère ;
La croix de saint André commande à l'Angleterre,
Le gril de saint Laurent produit l'Escuriàl. -

Tu dis : - L'homme n'a foi qu'à l'immémorial.
Une religion qui veut qu'on croie en elle
Doit être séculaire, antique, solennelle,
Appuyée au monceau des âges révolus. -

Tu dis : — Nous vénérons un culte d'autant plus
Que dans la profondeur de l'histoire il s'éloigne;
Toute l'autorité du temps passé témoigne :;
Croyons. Voilà mille ans, deux mille ans, trois mille ans
Que ce temple est sacré pour les hommes tremblants ;
C'est ici que le temps vient effeuiller les races,
Et des peuples éteints mêle les sombres traces;
Il donne pour garants à ces croyances-là
Les générations dont l'âme s'envola.
Vieille religion, donc religion sainte.
De la tradition l'homme approche avec crainte.
C'est vrai, car c'est ancien ; et nos pères l'ont cru.
Un autel par l'amas des siècles est accru.
Donc, c'est en vieillissant que les dogmes se prouvent ;
Au fond du puits des jours les vérités se trouvent ;
Il est bon pour un temple ou bien pour un koran
Que, sur les. bords du Tibre ou sous le ciel d'Iran,
Une procession d'ancêtres et de sages
Ait gravi ses degrés ou feuilleté ses pages ;
Un dogme a le cadran des heures pour souci ;
Tant qu'il n'a point de ride, il n'a pas réussi;
Il lui faut, et c'est là sa seule inquiétude,
Le rajeunissement de la décrépitude ;
C'est par la vétusté qu'il plaît ; Christ envieux
Regarde Teutatès caduc et Brahma vieux ;
Le vrai n'est vrai, dans l'ombre où le temps nous dépouille,
Qu'à la condition d'être couvert de rouille.
Un dogme vermoulu fait bien dans le ciel bleu.
La patine du bronze est nécessaire à Dieu.
L'évidence a besoin, dans l'azur de l'idée,
D'être depuis longtemps des hommes regardée,
De beaucoup de croyants brûlant du même feu,
Et de beaucoup de terre au-dessous d'elle. Un dieu
N'est dieu qu'autant qu'il prend racine comme un arbre ;
L'argile de la foi durcit et devient marbre ;
Soyez un verbe, un rite, une religion,
Apportez-nous des saints groupés en légion
Et des anges coiffés d'étoiles à facettes,
Réglez l'esprit, le cœur, l'âme, ayez des recettes
Pour faire janvier chaud ou juillet pluvieux,
C'est bien ; mais commencez d'abord par être vieux.
Si les autels ont droit d'être environnés d'âmes,
Si c'est le ciel qui parle en chaire aux bonnes femmes,
Si les cultes sont purs, solides, sûrs, certains,
Vrais, cela se mesure au nombre des matins
Qu'a vus le coq juché sur la tour du village ;
Une religion qui sent lui venir l'âge
Triomphe à chaque siècle, et dit : Encor cent ans !
J'existe ! - Et l'Eternel cherche à gagner du temps !

 

IV. AU THÉOLOGIEN

 

Soit que vous vous coiffiez de turbans en batiste,
Ou de mitres mêlant la perle à l'améthyste,
O prêtres, ô porteurs d'éphods et de rabats,
Étant donné le droit de sottise ici-bas,
Vous en usez avec une ardeur sans pareille.
Parce que le Très-Haut, faisant la sourde oreille,
A l'air de ne rien voir et de tout accepter,
Parce que Dieu se laisse à peu près insulter,
Et que ce patient des Tedeums ne raille,
Dans sa bonté, pas même un évêque qui braille,
Vous avez profité de son air bon enfant
Pour lui faire endosser l'absurde triomphant,
Là dans les sanhédrins et là dans les conciles,
Et pour bâcler beaucoup de livres imbéciles.
Prêtres, vous remuez aussi facilement
La malédiction, le mensonge inclément,
L'imposture et l'erreur dans vos pesants volumes
Que le petit oiseau fouille du bec ses plumes.

 

Où prends-tu, moine, abbé de visions imbu,
Ce Tout-Puissant myope et ce Très-Haut fourbu?
Prêtre, qu'est-ce que c'est que cet Orgon céleste,
Dieu podagre que dupe un démon jeune et leste ?
Ah ! docteur ! quel beau jeu tu donnes, imprudent,
Aux rieurs, point fâchés d',avoir Dieu sous la dent !
Écoute-les :
                 - Fakir, talapoin, muphti, mage,
Brave homme, Dieu, dis-tu, t'a fait à son image.
Alors il est fort laid. J'y consens. Prêtre blanc,
Prêtre noir, qu'il vous soit à tous deux ressemblant,
C'est son affaire. Et moi je siffle. Que de choses
Mal faites dans le tas de ses métempsycoses !
Les diacres aux gros yeux m'ordonnent d'admirer ;
Je ris. La cathédrale en vain pour m'attirer
Ouvre les deux battants de sa porte cochère ;
Je laisse bougonner ces bonshommes en chaire.
Paix aux dévots béats ! quant à moi, je me tiens
Le plus loin que je peux des orateurs chrétiens ;
J'écris sur mon carnet : Fuir Nonotte ; et je cloue
A mon chevet : Ne point aller à Bourdaloue.
Les raisonneurs bigots sont un de mes effrois.
J'abhorre ces forêts de piliers lourds et froids
D'où; tombent les frissons, les toux, les pleurésies ;
Je ne m'expose point aux églises moisies ;
Je n'irai point gagner quelques bonnes fraîcheurs
Pour le plaisir d'entendre aboyer vos prêcheurs,
Bavards à barbe ou clercs ras tondus, dont le geste
S'empêtre dans les plis d'une prose indigeste.
Prêtres de plomb, Laynez, Frayssinous, Bellarmin !
L'ennui pleut de leur phrase; et, son croc à la main,
Le chiffonnier qui met les âmes dans sa hotte,
Satan, s'il passe là d'aventure, chuchote :
— Quand plus tard, dans l'enfer vengeur, nous assommons
Tous ces lourds sermonneurs, c'est avec leurs sermons. -
Dieu. Le monde. Anier triste et mauvaise bourrique.
Ah ! prêtres ! s'il faut croire à votre rhétorique,
Dieu mène tout. Tant pis. L'univers disloqué,
Mal sorti du chaos, penche et se cogne au quai.
On distingue ses mâts sur le ciel d'un noir d'encre.
Il n'a plus sa boussole, il a perdu son ancre,
Et semble par moments faire eau de toutes parts..
Tout ce que l'homme croit, dans l'abîme est épars.
La foi nage, le droit flotte, le vrai tournoie ;
On voit les bras levés de l'espoir qui se noie ;
Qu'est-ce que votre Dieu fait pendant ce temps-là ?
Rien. Je me trompe. Il fait Nemrod, Cham, Attila,
Gengiskhan, Tamerlan, Charles-Quint, Bonaparte ;
Il brise Rome, il tue Athène, il détruit Sparte ;
C'est grâce à lui qu'un roi dit : NOMINOR LEO ;
S'il donne au monde un saint, vite, il lâche un fléau ;
Il guide les Colombs, mais conduit les Pizarres ;
Il est fantasque ; il fait des actions bizarres
Dont Bossuet prendra note derrière lui.
Son éclipse survient dès que son aube a lui.
Cet astre est un aveugle. Il est contradictoire.
Ce monde est sa défaite autant que sa victoire.
Ce Très-Haut tourne et change. Il est hydre, il est Dieu.
D'une roue insensée il est le noir moyeu.
Il est tantôt Hasard et tantôt Providence.
Toute l'horreur humaine en ce Dieu se condense,
Et vous le façonnez si ressemblant à vous
Que, père, il est vengeur, et, maître, il est jaloux.
Il nous défend le lard tel jour de la semaine ;
Et, si nous en mangeons, l'ange des morts nous mène
Au gouffre où tout est feu, braise, flamme et charbon,
Si bien qu'il a caché l'enfer dans un jambon.
Ce qu'il crée, il le fêle ; et s'il met trop de sable,
Trop d'ombre ou trop de neige, il en est responsable.
Une peste nous vient de lui ; quand un essieu
Casse, c'est Jehovah qui se détraque, et Dieu
Est sale quand la boue à mon talon s'attache ;
Le mendiant, - pourquoi des mendiants ? - le tache ;
Tous les haillons du pauvre, à toute heure, en tout lieu,
L'accusent, et, souillés, infects, pendent à Dieu.
Dieu fait tout. Par-dessus le marché, cette droite
Terrible, formidable, immense, est maladroite.
Pour punir un village, il noie un continent.
Moi, je lui dis son fait, je suis impertinent,
Je le lorgne, je flâne et ris, je baguenaude,
Son nez majestueux reçoit ma chiquenaude ;
Certe, il se fâche ; il dit, furieux et rêvant :
- Où diable ai-je fourré ma foudre ? - Mais avant
Que ce Géronte ait mis la main sur son tonnerre,
Moi, tranquille et marchant de mon pas ordinaire,
Je suis déjà bien loin. Il foudroie à côté.
De là votre éloquence et de là ma gaîté,
Bons prédicateurs.

Certe, à cela que répondre ?
La foi vient couver l'œuf qu'on a vu l'erreur pondre ;
L'église sur l'enfant fait peser les aïeux,
Et met à l'ignorance un dogme sur les yeux.
Le prêtre apporte à l'homme une carte routière
Du ciel profond, avec péage à la frontière.
Fouille-toi, mort. On paie au pont du paradis.
Si tu n'as pas le sou, reste avec les maudits.
Un Dieu méchant qu'on loue, un Dieu bon qui menace,
Un Dieu signé Sanchez, Trublet, de Maistre, Ignace,
Luit dans l'ombre, entouré de vieillards clignotants,
Et c'est fini ; voilà de la nuit pour longtemps.
O prêtres ! ce Dieu-là, sous son dais à panache,
Est du monde idiot la suprême ganache ;
Il a l'utilité des vieux épouvantails ;
On le sculpte, aïeul sombre, au cintre des portails ;
Il écoute, un peu sourd, la cloche sa voisine
Il fait joindre les mains aux passants, il fascine
Les bons moutons humains que mènent les bedeaux,
Et charme les rapins qui, le sac sur le dos
Et les guêtres aux pieds vont barbouillant des croûtes
Dans les pays, en juin, quand les arbres des routes
S'agitent et se font mille signes de loin,
Joyeux d'avoir peigné les charrettes de foin.

 V. INVENTION

 

Vous avez inventé le diable. Il est très bête.
Il empoigne les gens par les pieds, par la tête,
Part, et croit avoir fait quelque chose de beau
En portant Jésus-Christ au mont Tibidabo
Il dit : Je t'offre ça, la terre. Sois docile. -
Il ne s'est même pas aperçu, l'imbécile,
Que celui qu'il a pris par les cheveux, c'est Dieu ;
Et que Jésus, qui cache étrangement son jeu,
Pourrait lui dire : Affreux Jocrisse, pitre immonde,
Tu me donnes la terre à moi qui tiens le monde !
Peu de religions, rêvant sur Anankè, '
Savent faire un titan, et le diable est manqué.
Il est, à n'en parler ici que comme artiste,
Plat et vulgaire ; il fait enrager Jean-Baptiste
Et tente saint Antoine avec fort peu d'esprit.
C'est le démon ; tremblez. Non, c'est le diable ; on rit.
Trop massif, il se traîne, ou, trop maigre, il s'efflanque.
Belphégor ne ferait pas vivre un saltimbanque ;
Belzébuth promené de foire en foire, aurait
Moins de succès qu'un loup pris dans une forêt.
Quant à moi, si j'étais montreur de phénomènes,
Pour faire écarquiller les prunelles humaines,
J'aimerais mieux, plutôt que Sadoch, nain bougon,
Ou Moloch, vieux pantin en forme de dragon,
Ou Bélial soufflant le feu de sa narine,
Avoir un bon lapin savant qui tambourine.
Le gouffre étant donné, toute l'ombre et l'horreur
Amoncelée autour d'un géant éclaireur,
On est surpris du peu que votre fable en tire ;
Vous n'avez rien trouvé de mieux que le satyre.
Le paganisme en lui chez vous est revenu.
Toujours le pied fourchu, toujours le front cornu.
Toujours la même ampoule au dos du même gnome.
Aveugle, plus, boiteux, c'est là tout le binôme.
Lucifer, Asmodée ; un infirme, un serpent ;
L'un ne voit pas Dieu ; l'autre erre clopin-clopant.
La maison d'or, à Rome, a sur ses vieilles briques
Des fantômes qui font des gambades lubriques,
Des nains à grosse tête et d'affreux chèvrepieds ;
L'enfer chrétien les a simplement copiés.
Vous avez baptisé le faune ; et c'est le diable.
Le vaste mécontent qui tire sur le câble
De l'univers, et veut casser l'amarre, afin
Que tout rentre au chaos, et que le séraphin,
L'étoile, le ciel, l'homme, et Dieu lui-même, roulent
L'un sur l'autre à vau-l'eau pêle-mêle, et s'écroulent ;
Le fourbe qui, pensif, sous Jehovah créant,
Construit la trahison immense du néant ;
L'être noir, l'effrayante âme démesurée
Qui fait refluer l'ombre ainsi qu'une marée,
Le parodiste amer et terrible qui prend
L'homme, et qui fait petit tout ce que Dieu fit grand,
Ce monstre, ce méchant d'une si fière taille,
Qu'il attend le tonnerre et lui livre bataille,
Qu'il a pour plaie au front le mal universel,
Et que tout l'océan n'aurait pas trop de sel
Pour sa raillerie acre et son rire insondable,
Ce colosse enchaîné sous l'Etna formidable,
Se retrouve en vos mains pygmée, avec l'ennui
D'avoir la petitesse et la laideur sur lui ;
Il était dans l'Érèbe énorme ; il est au bagne ;
Et se voit une bosse au lieu d'une montagne.
En somme, vous avez fort peu d'invention.
Vous refaites le cercle où tournait Ixion.
La nature a le singe et l'église a le diable ;
Vive le singe ! il est plus gai. Dans votre fable,
Le Capricorne, étoile, astre, tombe si bas
Qu'il n'est plus que le bouc immonde des sabbats ;
L'enfer triste est doublé d'un paradis féroce ;
Démons, damnés, maudits, sont dans la cuve atroce,
Leur tourment fait le ciel plus céleste, et le bain
Qui les cuit, rafraîchit là-haut le chérubin;
Mais le démon a beau rôtir, il est fort terne ;
Et l'on ne comprend pas que dans cette citerne
Du flamboiement sans fond, avec un tel grief
Et tant de haine, Iblis ait si peu de relief.
La femelle d'Othryx, la pieuvre dont les pattes
Sans quitter l'Ararat s'accrochaient aux Carpathes,
Et qui, plongeant sous l'eau, faisait hausser les mers,
N'est plus qu'une nabote aux petits ongles verts,
Et le peuple, qu'au fond votre impuissance blesse,
Rit devant la titane avortée en diablesse ;
Linus venant du ciel sur Pégase, au relai,
Trouve votre sorcière enfourchant son balai ; :
La diablerie au moine apparaît, et pullule,
Espèce de vermine, au mur de la cellule;
Mais ces monstres sont vils, ces nains sont plus blafards
Que le lourd sphinx sortant la nuit des nénuphars
Et que l'impur crapaud caché sous les broussailles;
Et l'on dirait que ceux qui firent ces grisailles
Et tous ces à-peu-près et tous ces camaïeux,
N'ont ébauche Satan que pour créer Mayeux.

 

VI. LES MAINS LEVÉES AU CIEL

 

 

Ciel, laisse-moi tout dire ! O ciel, source des êtres,
Tu vois mon âme ; il faut que je parle à ces prêtres.

 

VII. CHEF-D'ŒUVRE

 Vous prêtez au bon Dieu ce raisonnement-ci :
— J'ai, jadis, dans un lieu charmant et bien choisi
Mis la première femme avec le premier homme;
Ils ont mangé, malgré ma défense, une pomme ;
C'est pourquoi je punis les hommes à jamais.
Je les fais malheureux sur terre, et leur promets
En enfer, où Satan dans la braise se vautre,
Un châtiment sans fin pour la faute d'un autre.
Leur âme tombe en flamme et leur corps en charbon.
Rien de plus juste. Mais, comme je suis très bon,
Cela m'afflige. Hélas ! comment faire ? Une idée !
Je vais leur envoyer mon fils dans la Judée ;
Ils le tueront. Alors, - c'est pourquoi j'y consens, -
Ayant commis un crime, ils seront innocents.
Leur voyant ainsi faire une faute complète,
Je leur pardonnerai celle qu'ils n'ont pas faite ;
Ils étaient vertueux, je les rends criminels ;
Donc je puis leur rouvrir mes vieux bras paternels,
Et de cette façon cette race est sauvée,
Leur innocence étant par un forfait lavée.

 

VIII. SUITES

L'homme étant la souris dont le diable est le chat,
On appelle ceci Rédemption, Rachat,
Salut du monde ; et, Christ est mort, donc l'homme est libre ;
Et tout est désormais fondé sur l'équilibre
D'un vol de pomme avec l'assassinat de Dieu ;
Soit. Mais ne rions plus quand Thor, à coups d'épieu,
Cherche à tuer Matchi, le grand tigre invisible ;
Ni quand l'archer Zuvoch prend l'astre Aleph pour cible ;
Ne raillons plus Horus qui trompe Hermès l'expert ;
Ni Sog qui joue aux dés la lune et qui la perd ;
Ni la tortue ayant sur son écaille ronde
Huit grands éléphants blancs qui soutiennent le monde ;
Ne raillons plus ces dieux étranges de Délos,
Ailés, palmés, sachant les noms de tous les flots,
Dont la nuit on voyait confusément les trônes
Luire aux pâles sommets des monts Acrocéraunes ;
Et cessons de hausser les épaules devant
Les Hottentots prenant dans leurs poings noirs le vent,
Devant les Grecs faisant, dans un luncheon nocturne,
Manger ses petits-fils au grand-père Saturne ;
Et ne bafouons plus le nègre et son tabou,
Ni ce temple meublé d'idoles en bambou
Où les sauvages vont avec les sauvagesses.

O religions, dieux, certitudes, sagesses !

 

IX. QUESTIONS

 

 Qui que tu sois, qui vas devant toi, méditant
Des perquisitions dans ce ciel éclatant
Que l'homme de ses dieux au hasard ensemence,
Toi qui rêves, tu n'as de sûr que ta démence,
Toi qui montes, tu n'as de grand que ton orgueil.

D'abord, chercheur, qu'es-tu ? Sur ce flamboyant seuil,
C'est là ce qu'il faut voir avant toute autre chose.

T'appelles-tu Pamphile, Euthyme, Eusèbe, Orose,
N'es-tu qu'un scoliaste, un clerc, un professeur,
D'un palimpseste obscur feuilletant l'épaisseur,
Citant Pierre, Thomas ou Paul, sois blême et triste,
Et ne demande rien au ciel, ô casuiste ;
Fais en dehors de lui ton Dieu. Sois le rhéteur,
Et n'escalade pas l'inutile hauteur.
Si tu n'es que Lactance, homme, il doit te suffire
D'abattre Hiéroclès et d'écraser Porphyre ;
Si tu n'es qu'un docteur d'un culte officiel,
Tu n'as rien à tirer du mystère et du ciel
Qui ne tourne au profit d'une thèse arbitraire,
Et tu ne pourras point, frêle esprit, en extraire
De meilleures raisons que celles que donna
Irénée à Blastus ou Justin à Zena.
C'est bien. Adore un texte, apprends, répète, imite,
Et fais-toi d'une lettre écrite ta limite.
Le ciel, ce précipice où tu plongerais mal,
N'enseigne rien à ceux que lie un joug fatal
Et qui ne veulent pas que le vrai les délivre.
Reste dans une ornière et rampe dans un livre.

Mais es-tu d'aventure un penseur libre, errant
Du côté de la nuit qui semble transparent,
N'ayant pas pris d'avance un parti sur l'abîme,
N'imposant aucun dogme à la brume sublime,
Ne poursuivant dans l'air, dans l'onde et dans le feu
Aucune forme humaine ou terrestre de Dieu ;
Es-tu l'homme qui cherche et l'esprit qui s'envole ?
Alors il te faut mieux qu'un maître, qu'une école,
Et qu'un missel, fardeau du lutrin vermoulu.
Il te faut le concret et l'abstrait, l'absolu,
L'infini sans cadrans, sans horloges, sans montres,
Sans compas, sans boussole, et les grandes rencontres
De la nuit où l'on sent passer les inconnus ;
Il te faut les vents noirs, des profondeurs venus,
Qui dispersent dans l'ombre on ne sait quels messages.

Mais n'attends pas du gouffre où s'effacent les âges,
N'attends pas du grand tout, farouche, illimité,
Où flotte l'invisible, où, dans l'obscurité,
L'aile des tourbillons heurte l'aile des aigles,
Une explication de Dieu selon les règles,
Ni que, pour contenter ton pauvre esprit courbé,
L'être va te prouver l'être par A plus B.
Si tu veux que l'ensemble étoile te démontre
Un dogme, en débattant les raisons pour et contre,
Comme ferait Sanchez commentant Loyola,
La Nuit ne monte point dans cette chaire-là.
Ne confonds pas l'abîme avec un clerc ; distingue
Entre Oxford et la nuit, entre l'aube et Gœttingue.
Les théologiens, les universités,
Les lourds in-folio doctement feuilletés,
Sont une chose, et l'ombre immense en est une autre.
De quelle vérité le gouffre est-il l'apôtre ?
Tâche de le savoir ; mais n'en espère point
Un cours de faculté suivi de point en point.
La lumière dévore et le collège broute ;
L'enseignement d'en haut ne suit pas l'humble route
Par où passe en boitant l'enseignement d'en bas ;
Le mystère a ses lois, la Sorbonne a ses bâts ;
La science de l'Être, âpre, escarpée, ardue,
Aire idéale où fuit la pensée éperdue,
L'algèbre du grand Tout, le problème absolu,
Noir livre de la nuit où le rêve a seul lu,
Je ne te cache pas qu'il se peut qu'on l'apprenne
Dans la profondeur bleue, ineffable et sereine,
Ou dans la pâle horreur des brouillards infernaux,
Autrement qu'à Bologne au collège Albornoz.
Vois ! c'est l'empyrée ; aube, éther, sans bords, sans voiles,
Avec sa plénitude effroyable d'étoiles,
Étalant ses azurs au bleu jamais terni,
Espèces de cristaux vagues de l'infini.
Qu'est-ce que tu vas faire en ce cosmos sans terme,
Plus terrible s'il s'ouvre encor que s'il se ferme ?
Comment ton frêle esprit se comportera-t-il
Dans ce sombre océan du grand et du subtil ?
A qui parleras-tu dans ce milieu tragique ?
Tout ton savoir humain, ta raison, ta logique,
Ne vont-ils pas se rompre en angles plus confus
Que les coudes du chêne au fond des bois touffus ?
Dis, que vont devenir, homme, tes syllogismes
Quand ils rencontreront l'énormité des prismes ?
Pourras-tu supporter l'immense brisement
De l'idéal, du vrai, du jour, du firmament?

Savoir fut de tout temps la démence des sages.
Osiris consultait l'abîme ; des visages
Y viennent effarer les prophètes vaincus ;
Mars inspirait Solon et Pallas Zaleucus ;
Numa cherchait la nymphe en sa grotte enchantée ;
Minos questionnait Zeus sur le Dictée ;
Lycurgue allait à Delphe écouter Apollon.
Tout cela, c'est le gouffre ; et l'obscur aquilon
Mêle au même brouillard tous ces pâles fantômes.
Tout cela, c'est la fuite immense des atomes ;
C'est le doute.

                    Le doute, hélas ! Sur cette mer,
Où tous les vents, le chaud, le froid, l'impur, l'amer,
Épuisent les fureurs de leurs rauques poitrines,
Apparaît l'archipel ténébreux des doctrines;
Sommets qui sont des ports s'ils ne sont des écueils.
Là se dressent Vesale entr'ouvrant des cercueils,
Socrate lumineux, Zenon dans un jour triste,
Pyrrhon vague, et si noir qu'on ne sait' s'il existe,
Les sept sages, pareils aux Cyclades, couverts
De nuages, de flots, de brumes et d'hivers,
Swift, Rabelais, Montaigne, Herder, Kant en détresse,
Hegel sombre, et, là-bas, cette cime, Lucrèce.

Les plus mornes, ce sont les rieurs. Avoir ri,
Ce n'est pas contre l'ombre étoilée un abri ;
Cela ne construit pas un toit sur notre tête
Contre l'Être, sinistre et splendide tempête ;
Cela n'empêche pas les monts d'être debout ;
Cela ne fait pas taire un Vésuve qui bout,
Ni les clairons de l'ombre aux bouches des borées ;
Cela n'empêche pas les mers démesurées
D'offrir on ne sait quels hommages écumants
A la pâle planète au fond des firmaments ;
Rire, cela ne peut déconcerter la rose
Qui s'ouvre en juin, ayant pour devoir d'être éclose ;
Fermer l'œil et crier : Je lie veux pas les voir !
Cela n'empêche pas les rayons de pleuvoir.
Riez. Soit. L'Inconnu derrière sa muraille
Ne s'inquiète pas de Lucien qui raille ;
Ni les eaux, ni les champs, ni les fleurs, ni les blés,
Ni les forêts ne sont d'un sarcasme troublés ;
L'invisible cocher des sept astres du pôle
Ne baisse pas le front, ne tourne pas l'épaule,
En poussant au zénith l'effrayant chariot,
Pour voir ce que Voltaire écrit à Thiriot.
Les rieurs sont-ils sûrs de leur rire? Leur style
Élide volontiers Dieu, syllabe inutile ;
Du vieux surplis du prêtre ils chiffonnent l'empois ;
Mais que veulent-ils ? Faire aux croyants contrepoids.
Est-ce tout ? A quoi bon ? Quel choix dans la nuit noire !
Le hasard de nier ou le hasard de croire !
Que sert, dans cette énigme où l'homme est enfoui,
De balbutier Non parce qu'on bégaie Oui ?

Donc, esprit, prends ton vol, si tu te sens des ailes.
Mais, homme, quel que soit l'éclair de tes prunelles,
N'espère pas, si haut que ton âme ait monté,
T'envoler au delà de ton humanité.
Va ! mais, songes-y bien, nul ne sort de sa sphère.
L'Être en qui tout se fond, mais de qui tout diffère,
A fait les régions pour qu'on s'y renfermât ;
Et l'oiseau le plus libre a pour cage un climat.

 

 

                     II : PHILOSOPHIE

 

 

Homme, qu'est-ce que c'est que tes cérémonies
Misérables, devant les choses infinies ?
A quoi bon tes poeans, tes chants, tes hosannas ?
Pourquoi, n'ayant pas plus de jours que tu n'en as,
Prier au pied d'un tas d'autels contradictoires?
Quelle manie, atome en proie aux purgatoires,
As-tu d'interpeller les cieux ? et quel besoin
De prendre l'invisible et l'obscur à témoin ?
Crois-tu féconder l'Ombre en y semant des rites,
Des formules de nuit sur du brouillard transcrites ?
T'imagines-tu donc, être aux songes bornés,
Que, lorsqu'avec tes yeux, tes oreilles, ton nez,
Tu bâtis un fétiche ayant ta ressemblance,
En t'adressant au vide insondable, au silence,
Au mystère, à l'horreur, tu les amèneras
A lui faire des pieds quand tu lui fais des bras ?
Te figures-tu pas que le gouffre, où Socrate,
Les druides d'Armor, les mages de l'Euphrate,
Jean de Patmos, et Dante, et Thaïes ont frémi,
Entrera pour sa part, et de compte à demi,
Dans la formation de quelque être inutile
Que la réalité de toutes parts mutile ?
Quiconque, apôtre, augure, ou barde au large front,
Forge un Dieu de son mieux et l'offre au ciel profond,
N'aperçoit que la brume et la noirceur confuse
Du firmament sinistre et calme, qui refuse ;
L'homme a beau présenter un Dieu, prémédité
Dans son aveuglement et dans sa surdité,
Que ce Dieu soit indou, païen, grec ou biblique,
L'ombre ne donne pas à l'homme la réplique ;
Sans écho, sans qu'un signe ait paru dans l'éther,
L'Être a vu par Orphée enfanter Jupiter,
Allah par Mahomet, Jehovah par Moïse;
La négation triste est dans le vide assise ;
Le prêtre par l'abîme est toujours éconduit;
L'immobilité grave et morne de la nuit
Suffit au Tout lugubre, et le gouffre n'invente
Aucune idole, ayant l'éternelle épouvante.

Ah ! tu montes vers l'ombre avec un Dieu tout fait.
Que Dieu soit. Ton néant de grandeur le revêt ;
Ta nuit lui pose au front l'aurore éblouissante ;
Puis au-dessous de lui tu mets une descente
D'anges, d'êtres ayant l'azur pour point d'appui,
Décroissant jusqu'à toi, puis croissant jusqu'à lui.
Il te faut ta série allant du ciel à terre ;
Tu veux d'un seul regard embrasser le mystère ;
Voir le point d'arrivée et le point de départ ;
Tu veux dire : voici la moitié, puis le quart;
Compter les échelons ; tu rêves ce quadrille :
Dieu, puis l'archange, et l'homme en regard du mandrille ;
Eh bien, non. Tout n'est qu'Un. Sache, ô sombre écolier,
Qu'on ne monte pas Dieu comme ton escalier;
Il est dans une ruche aussi bien que dans Rome ;
Le ver n'est pas plus loin de l'infini que l'homme.

Nous autres les songeurs que dévorent la faim
Et la soif de connaître, et qui, sans peur, sans fin,
Creusons l'éternité formidable et candide,
Du côté noir, ainsi que du côté splendide
Où l'on voit tant de vie et de flamme abonder,
Nous avons beau guetter, contempler, regarder,
Observer, épier, jamais nous n'aperçûmes
Pas plus ce que tu crois que ce que tu présumes.
Connaître à fond Celui qui Vit, ses attributs,
Son essence, sa loi, son pouvoir, — de tels buts
Sont plus hauts que l'effort de l'homme qui trépasse.
Les invisibles sont. Ils emplissent l'espace,
Ils -peuplent la lumière, ils parlent dans les bruits ;
Mais ne ressemblent point à ce que tu construis.

Renonce à fatiguer le réel de tes songes ;
L'Ombre, en bas comme en haut, repousse tes mensonges ;
Le tonnerre n'est pas l'ami ni l'ennemi
De ton Dieu que ne hait ni n'aime la fourmi ;
Quand ta dévotion dresse un temple et s'y mute,
L'ouragan en ricane et l'abeille en murmure';
Tu n'es pas moins raillé du nain que du géant;
Tes dragons sont d'airain, tes dieux sont de néant ;
Tu peux les ciseler, mais non. les faire vivre ;
L'oiseau craint le serpent et perche sur ta guivre ;
Sculpte tes déités ! dans leurs yeux de granit
Le vautour fait sa fiente et le crapaud son nid !

Toi-même tu rirais, si tu pouvais connaître
A quel point tu ne peux, homme, rien faire naître,
Rien construire en dehors des formes que tu vois ;
A quel point tous tes arts, travaillant à la fois,
Tes peintres, tes sculpteurs, sont nuls pour rien produire
Hors du cercle où tu vois un jour pâle te luire ;
Jusqu'où sont puérils tes rêves délirants ;
Quelle est, pour inventer, l'enfance des plus grands ;
Combien est infécond Rembrandt, et dans quel lange
Sont encor Phidias, Rubens et Michel-Ange !
La nature, l'aïeule aux mille sombres voix
Rugissantes parmi les antres et les bois,
La nourrice des loups, des ours et des panthères,
A des dessous profonds peuplés de noirs mystères
Qui te feraient pâlir si tu les pénétrais,
Et, dans l'énormité des eaux et des forêts,
Riche en monstres, n'a pas besoin de tes chimères.
Crois-tu pas qu'épousant tes songes éphémères,
Elle accepte ton hydre ou ta licorne, ayant
Son tigre, son lion au regard flamboyant,
Et son hippopotame horrible, et qu'elle abdique
Son grand aigle des monts pour ton aigle héraldique ?
Ah ! pauvre homme inutile et fou sous le ciel bleu,
Tu ne peux faire un monstre et tu veux faire un Dieu !

  •  


Et puis quand tu l'auras, fort bien, que tu lui fasses
Deux sexes comme à Fô, comme à Janus deux faces,
Que tu l'ornes d'un tas de titres et de noms,
Le voilà sur ses pieds, c'est Dieu, nous le tenons,
Où le mettre ? En quel gouffre, homme ? ou dans quelle sphère ?
Perceras-tu, toi l'homme, un trou dans la lumière
Pour y loger ce Dieu que ton esprit forma
D'un peu de Jupiter et d'un peu de Brahma ?
Ce Zeus, cet Allah, ce Pan, que tu fabriques
Avec tes passions féroces et lubriques,
Comment le mettras-tu dans les astres ? Quel clou
Prendras-tu pour clouer au fond des cieux Vishnou ?
Fusses-tu secondé d'Alcée et de Terpandre,
Dis, comment feras-tu pour fixer, pour suspendre,
Et pour faire tenir Erigone aux seins nus,
Érynnis, Astarté, Bellone, la Vénus,
Ces buveuses de sang et ces prostituées,
Dans la façade énorme et pâle des nuées ?

  •  


Ah ! noir vivant, tu veux un Dieu ! Qu'en feras-tu ?
Auras-tu moins d'orgueil, homme, et plus de vertu?
Embrasseras-tu l'homme? aimeras-tu ton frère? .
Deviendras-tu flambeau ? briseras-tu la guerre,
Ce vieux glaive éternel d'où dégoutte le sang ?
Dis, jetteras-tu moins de pierres en passant
Aux penseurs, aux héros, aux martyrs, aux apôtres?
Laisseras-tu, 'devant l'affliction des autres,
Entrer la pitié blanche et douce dans ton cœur?
Seras-tu plus pensif, plus grave et moins moqueur,
Surtout pour les déchus et pour les incurables?
Seras-tu moins hautain devant les misérables,
Plus doux pour l'insensé qu'entraînent ses penchants,
Moins grand pour les petits et meilleur aux méchants ?
Réponds, mêleras-tu, dis, un peu de tendresse,
O juste, à ta justice, ô sage, à ta sagesse?
Feras-tu grâce au monstre en pleurs, et seras-tu
Un Abel moins altier pour Cain abattu ?
Et, si tu n'es qu'un monstre et qu'un Caïn toi-même,
Viendras-tu t'effarer à la lueur suprême,
Et te prosterner, pâle, heureux, épouvanté,
Sous la prodigieuse et clémente clarté ?
Un Dieu tient de la place, homme, dans une sphère.
Avant d'en vouloir un, il faut savoir qu'en faire.
Un Dieu, quand ce n'est pas un port, c'est un péril.
Ah ! la plupart du temps, sénile et puéril,
Importunant les cieux, livide solitude,
Tu veux un Dieu, de peur d'en perdre l'habitude,.
Parce que du passé tu subis l'ascendant,
Tu veux un Dieu, pour rien, pour faire, en attendant
Que ton cadavre tombe au sépulcre et pourrisse,
Ce que ton père a fait, ce qu'a fait ta nourrice,
Par ennui, pour sentir sur ta tête un patron,
Pour avoir quelque chose à mettre en ton juron.

  •  


Enfin te rends-tu compte un peu du vaste rêve
Où ton destin commence, où ton destin s'achève,
Qu'on nomme l'univers, et qui flotte infini ?
En vois-tu le côté fatal, blessé, puni ?
Le lait coule, et le sang aussi ; l'esprit s'effraie.
Sous la grande mamelle on voit la grande plaie.
Lucine pleure ayant devant elle Atropos.
Hélas ! hélas ! s'il est quelqu'un qui, sans repos,
Crée, engendre et produit, homme, il est quelque chose
Qui sans trêve détruit, dévore et décompose.
Ce fileur ne fait rien que pour ce déchireur.

Les êtres sont épars dans l'indicible horreur.
L'ombre en étouffe plus que le jour n'en anime.
La lumière s'épuise à traverser l'abîme ;
Les rayons dans l'éther s'enfoncent éperdus ;
L'obscurité, vers qui tous les bras sont tendus,
Livide, est toujours là qui fait la nuit, et creuse
Ce trou pour engloutir la clarté généreuse ;
Quoi que fasse l'étoile et l'aube à l'horizon,
Tout n'est qu'une malsaine et nocturne prison ;
Malgré le vaste effort de l'aurore, tout souffre ;
Quelle épaisseur de nuit ne faut-il pas au gouffre
Pour amortir la flèche énorme du soleil ?
Eh bien, vois ! Mars est noir ; Saturne est-il vermeil ?
Les azurs sont brumeux, les planètes sont pâles.
Quant à ton globe à toi, des pleurs, des cris, des râles.
Ta sphère a-t-elle un Dieu ? S'il existe, il dément
Sans cesse la beauté, l'astre, le firmament ;
Que ce Dieu donne un chant aux oiseaux, qu'il revête
Le rossignol de joie et d'amour la fauvette,
Qu'importe s'il les fait guetter par l'épervier !
Soi-même s'abhorrer, soi-même s'envier,
Telle est l'obscure loi de l'être lamentable.
Ton affreux ciel mugit comme un bœuf dans l'étable ;
Quant au genre humain, vois !
                                                  Esclaves et bourreaux,
Vil tas de cendre ayant pour tisons les héros,
Paille éteinte d'un souffle et d'un souffle allumée,
Foule qu'on voit passer et dans de la fumée
Fuir après qu'on l'a vue un instant se mouvoir !
A peine en reste-t-il quelque chose de noir.
Ses chefs n'ont pas de but, ses dieux n'ont pas de norme ;
Rien que pour les nommer, son histoire est difforme ;
Les canons remplaçant les chars armés de faulx,
Des trônes, des bûchers, d'affreux arcs triomphaux,
Des profils de césars équestres sous des porches,
De toutes ces lueurs l'homme faisant des torches,
Un reflux d'ombre après un flux de liberté,
De la haine et du bruit, voilà l'humanité.
La vie est de la nuit, la mort seule est lucide ;
La science aboutit à l'âme suicide ;
Tout ment ; et les esprits se blessent aux scalpels.
Les sens à la raison font d'obscènes appels ;
Sur la chair croît le vice, infâme parasite;
Le mal tente l'esprit, l'esprit tremblant hésite.
La conscience est là pour régler ces débats?
Soit. Mais a-t-elle peur? pourquoi parler si bas?
Vois ton indignité, dont tu fais ta victoire.
Est-il, bien que le ciel ait aussi sa nuit noire,
Un coin du firmament, d'ombre ou d'azur baigné,
Qui ne jette sur l'homme un regard indigné ?
Est-il une vertu que l'homme dans ses doutes
N'ait flétrie ou niée? Interroge-les toutes.
Demande au dévouement, au courage, à l'amour,
Ce qu'ils pensent de l'homme, âpre et vil tour à tour.
La justice en a peur quand elle voit sa toge.
Questionne sur lui la sagesse ; interroge
La faiseuse d'ingrats, la mère au sein mordu,
La bonté. Le devoir est un flambeau perdu.
Qui grandit soudain penche, et qui naît périclite.
O vivants, Démocrite aussi bien qu'Héraclite,
Rabelais comme Job, Timon comme Pangloss,
Tout s'écroule en chimère ou se fond en sanglots.

Là, des pôles tombeaux, ici, des déserts mornes
Où rôdent le bubale et la vipère à cornes,
Où le soleil emplit de venin les buissons,
Où la lumière sert à faire des poisons.
Le soir, comme un mourant les horizons blêmissent;
Ce globe, couvert d'eaux et d'arbres qui frémissent,
Entrecoupe on ne sait quels cris et quels abois
Dans un balancement de vagues et de bois.
Tout menace et tout tremble ; et la mer accoutume
La terre misérable à l'immense amertume.
Homme, ton univers a l'air d'être inquiet.
Devant qui? Tout s'enfuit. Le jour craint, la nuit hait.
L'être est un bloc confus de masques et de bouches
Mêlés lugubrement dans des effrois farouches ;
Comme deux oiseaux noirs sans fin se poursuivant
L'éclair étreint la nuit dans la fuite du vent,
Et la nature entr'ouvre au fond de ces alarmes
Son œil mystérieux, noyé de sombres larmes.
L'être est morne, odieux à sonder, triste à voir.
De là les battements d'ailes du désespoir.

  •  


Tu dis : - Je vois le mal, et je veux le remède.
Je cherche le levier, et je suis Archimède. -

Le remède est ceci : Fais le bien. Le levier,
Le voici : Tout aimer et ne rien envier.
Homme, veux-tu trouver le vrai ? cherche le juste.

  •  


Mais quant au dogme, neuf et jeune, ou vieux et fruste,
Quant aux saints fabliaux, quant aux religions
Inoculant l'erreur dans leurs contagions,
Semant les fictions, les terreurs, les présages,
Quant à tous ces docteurs, à ces essaims de sages
Qui vont l'un maudissant ce que l'autre a béni,
Qui, volant, bourdonnant, harcelant l'infini,
Feraient abriter Dieu sous une moustiquaire,
Quant au daïri roi, quant au pape vicaire,
Quant à tous ces korans que chaque âge inventa,
Edda, Veda, Talmud, King ou Zend-Avesta,
Ce n'est qu'une confuse et perverse mêlée ;
En les étudiant, ô pauvre âme aveuglée,
Tu n'apprendras pas plus le réel qu'en cherchant
A composer, avec des insultes, un chant !

Et qu'importe, après tout, que l'homme prie ou croie ;
Qu'avec son propre songe, inepte, il se foudroie ;
Qu'il adore le Tout informe, ou l'esprit pur,
Une statue en bronze ou bien un pan d'azur ;
Que l'homme au ciel s'égare ou qu'il se fanatise
Avec la fauve odeur des bûchers qu'il attise ;
Que sa religion ait des pieds et des mains
Et des sens, et se livre aux appétits humains,
Ou soit vapeur, fumée, ombre ; que dans l'église
Son Dieu se pétrifie ou se volatilise ;
Que l'homme, impur, s'aveugle à suivre n'importe où
Tantôt l'abstraction, tantôt le manitou ;
Que ce soit la chandelle ou l'astre qu'il contemple ;
Qu'il adore une idée ou qu'il adore un temple ;
Que, croyant voir des dieux, au fond des bois épais,
Il nomme Argès l'éclair, la foudre Stéropès ;
Que, l'un couché dans l'or, l'autre nu sur des nattes,
Le nègre ait ses tabous et César ses pénates ;
Que le flamme encense en chlamyde de lin
Le morne Olympien, le noir Capitolin ;
Qu'on ait un Dieu hantant l'alcôve impériale,
Un pour le sénateur, un pour le curiale ;
Que les dieux soient divers et mesurés aux rangs,
Pour l'esclave petits et pour le maître grands;
Qu'en l'honneur d'un Indra quelconque, le brahmine
Se laisse dévorer vivant par la vermine ;
Qu'on se damne en carême â manger du jambon ;
Que pour faire un saint Pierre un Jupiter soit bon,
Et que la foule, au fond des hautes basiliques,
Use un orteil païen de baisers catholiques,
Si bien qu'un vieux Très-Haut ressert et se revend,
Et qu'avec un dieu mort on bâcle un saint vivant ;
Qu'ainsi qu'un terre-neuve attaque un boule-dogue,
La mosquée en fureur morde la synagogue ;
Que Rome ait en dédain Moscou ; que Borgia
Soit pour la Vierge et non pour la Panagia ;
Que les frontons sacrés changent d'hiéroglyphe ;
Que le blanc d'Hildebrand soit le noir de Caïphe ;
Que l'homme à Mahomet donne un dôme écrasé,
A Notre-Dame un chœur fait en bois menuisé,
Au grand éléphant blanc un éventail de plumes ;
Qu'il ait ses dieux brochés en plusieurs gros volumes;
Qu'il discute si c'est le Pinde, âpre coteau,
Qui vit l'hydre déesse, Amphitrite Cétov
Sortir de la mer bleue et triste, ou si l'Élide
La première aperçut l'effroyable annélide ;
Qu'il donne Thèbe aux sphinx et Tyr aux belzébuths ;
Qu'il appelle le jour Adonis ou Phébus ;
Qu'il écoute de Pan les invisibles flûtes ;
Qu'il bâtisse un cromlech avec des pierres brutes,
Ou fasse à Phidias sculpter le Parthénon ;
Qu'il juche Dieu sur l'aigle ou bien sur un ânon ;
Qu'il serve le Baal avec la Baaltide;
Qu'il soit évêque, et propre, ou derviche, et fétide,
Vil caloyer barbu, beau diacre tonsuré,
Très révérend ministre,,ou monsieur le curé;
Que la sottise autour du mensonge se groupe ;
Que le meilleur orfèvre, avec sa bonne loupe,
Ne puisse distinguer les dieux vrais des dieux faux ;
Que le rêve ait Endor, que la chair ait Paphos;
Qu'avant de croire en Dieu, le genre humain le crée ;
Que sous la pression de la crainte sacrée,
Que, sous la pesanteur des vagues régions,
Les superstitions et les religions
Sortent de son esprit comme l'eau des éponges;
Que, sans savoir pourquoi, dans un noir tas de songes,
Il choisisse tel dogme ou tel autre ; qu'en bloc,
Acceptant Irmensul, il rejette Moloch ;
Qu'il adopte une idole infâme et s'en entiche,
Faisant le délicat pour quelque autre fétiche ;
Que, sur Dieu, pour savoir s'il est de bonne humeur,
Il consulte le vent ou le flot en rumeur,
Ou la flamme, ou l'oiseau planant dans des tempêtes ;
Qu'il nourrisse ce Dieu de la viande des bêtes,
De gâteaux sans levain ou de pain trois fois cuit,
Qu'est-ce que cela fait, homme, au puits de la nuit ?
Qu'est-ce que cela fait au précipice énorme,
Où la vie en de l'ombre et du vent se transforme,
Où le songeur hagard n'aperçoit vaguement
Qu'un incommensurable et sombre écroulement,
Où le jour, blêmissant dans les vides sans bornes,
Meurt dans l'aveuglement des immensités mornes !

Invente, si tu veux, toi, ta doctrine aussi,
Et quand tu l'auras faite et construite, crois-y ;
Combine, tu le peux, d'autres idolâtries.

Après ces tourbillons de croyances flétries,
Après ces larves, Bel, Ammon, Janus, Rhéa,
Osiris, Odin, Thor, que la guerre créa,
Ces enfers, ces édens, ces cieux, ces rêveries,
Et les houris donnant la main aux walkyries,
Homme, après le dieu bœuf, après le dieu dragon,
Après Chronos, après Magog, après Dagon,
Apportés, remportés par les nuits grandissantes,
Qu'importe à l'infini livide que tu sentes
Une religion de plus, flottant au bord
De tout ce que tu fais dans la brume du sort,
Promener sur ton front son souffle de fantôme,
Et, dans l'ombre sans forme, où tu rêves un dôme,
Dans le ciel, plus menteur et plus noir que la mer,
Un Dieu de plus passer sur le poil de ta chair !

  •  


Toute religion, homme, est un exemplaire
De l'impuissance ayant pour appui la colère.

Toute religion est un avortement
Du rêve humain devant l'être et le firmament;
Le dogme, quel qu'il soit, juif ou grec, rapetisse
A sa taille le vrai, l'idéal, la justice,
La lumière, l'azur, l'abîme, l'unité ;
Il coupe l'absolu sur sa brièveté ;
Tous les cultes ne sont, à Memphis comme à Rome,
Que des réductions de l'éternel sur l'homme,
Fragments d'indivisible, ombres de la clarté,
Masques de l'infini pris sur l'humanité.
Leur tonnerre est un bras qui lance un dard de soufre ;
Leur cercle n'admet pas l'immensité ; leur gouffre
Est comblé d'un Odin ou d'un Adonaï.

Eh bien, penseurs, niez Olympe et Sinaï ;
Au lieu de ce vain ciel qui sur un mont s'appuie,
Et d'Éole trouant les outres' de la pluie,
Et des quatre chevaux d'Apollon hennissant
De joie et de fureur vers la nuit qui descend;
Au lieu de ces palais de nuage et de flammes
Où flottent, transparents, des dieux hommes et femmes,
Où, les foudres au poing, rôdent tous ces fléaux
Que l'homme appelle Allah, Sabaoth, Fô, Théos ;
Au heu de l'éléphant pontifical qui groupe
sur sa tête les cieux et l'enfer sur sa croupe;
Au lieu de cette mer du désert ténébreux
Qui laisse fuir Moïse et passer les Hébreux
Entre ses flots ainsi qu'entre deux murs de verre ;
Au lieu de cette lune étrange du Calvaire,
Toute rouge du sang que Jésus a sué ;
Au heu du faux soleil qu'arrête Josué,
Et de l'eau sur laquelle un Christ étoile marche,
Montrez aux bonzes noirs, gardant le temple et l'arche,
Quoi ? la Réalité, ce prodige inouï,
La lumière, ce vaste aspect épanoui,
La mort créant la vie, et transformant la tombe
En crèche où fait son nid l'âme, cette colombe,
Le miracle des gaz, des forces, des aimants,
L'infini ténébreux, plein d'éblouissements,
L'ombre ayant des soleils plus que la mer n'a d'ondes,
La confrontation formidable des mondes,
L'étoile, astre central, et la terre tournant,
L'homme, atome perdu dans ce tout rayonnant,
Les comètes, les feux, les souffles, les bolides,
Les sphères tourbillons et les globes solides,
Les univers sans fin, splendides visions,
Et les créations et les créations ;
Montrez les profondeurs saintes ; montrez aux prêtres
Les abîmes de vie et les océans d'êtres,
Vous les verrez crier : Cela n'est pas ! horreur !
Vous verrez se ruer les cultes eh fureur,
Païens, sur Hicétas, chrétiens, sur Galilée,
Et l'autel tressaillir sur la terre ébranlée,
Et les pâles docteurs frémir dans le saint lieu,
Et les religions reculer devant Dieu.

  •  


Fanatismes ! terreurs ! la fable est sur les hommes !
Sur tous ces yeux fermés faisant de sombres sommes !
Quel rêve ! quel monceau d'olympes insensés !
Que d'effroi ! que d'enfer !
                                   Assez, prêtres ! assez !

La bacchante au flanc nu rit dans le bois infâme ;
L'Indou qui saigne et pend aux crocs de fer, se pâme ;
La mère, avec la chair de son enfant, nourrit
Le dieu-fournaise aux dents de feu, Baal-Bérith ;
Ici, temple à la Nuit ; là, temple à la Famine ;
Le cheval de Piman de la Mecque chemine
Sur des hommes couchés à terre, qui lui font
Un fumier de leur âme, un pavé de leur front ;
La Chine donne aux mœurs, aux arts, aux lois, aux codes
La forme monstrueuse et folle des pagodes.
Que d'hommes ont vécu sans jamais être nés !

Et ceux-ci, ces croyants épris et forcenés
Sur qui le sphinx romain pose ses larges griffes,
Que d'affreux hommes dieux, qu'ils appellent pontifes,
Courbent sous leur vil sceptre, infaillible, accepté,
Insolent pour l'azur et pour l'éternité,
Oh ! les infortunés ! est-il rien de plus triste
Que leur sinistre foi dans la Rome papiste !
Rome, charnier sous l'aigle, est, sous la croix, bazar.
Quel est le plus hideux de Pierre ou de César ?
Rome a l'un après l'autre. Épouvantable liste !
Ce vampire c'est Jean, ce spectre c'est Caliste ;
Boniface a des fils de ses nièces ; Urbain
Fait saigner et mourir cinq prêtres dans leur bain ;
Borgia dans Gomorrhe y serait une tache ;
Grégoire tient la torche et Sixte tient la hache ;
Félix est un désastre et Simplicius ment ;
Cet Innocent brûlait les hommes, ce Clément
Les massacrait, ce Pie est un vendeur du temple ;
Jule est l'épouvantail comme Christ est l'exemple ;
Toutes les passions se tenant par la main,
Toute la turpitude et tout l'orgueil humain
Se donnent rendez-vous dans la ville éternelle ;
Tout vient là, dol, parjure, impureté charnelle,
Tous les forfaits connus et tous les inconnus,
Tous les crimes masqués et tous les vices nus ;
Rome appelle à son lit tous ces passants infâmes ;
Rome, l'entremetteuse et la marchande d'âmes,
Rit, et se prostitue, une tiare au front ;
Et, tandis que Brutus tressaille de l'affront
Et que Trajan frémit sur sa haute colonne,
Eux, ces fous, se livrant à cette Babylone,
Chantent, et, croyant voir la céleste Sion,
D'elle ils adorent tout, fraude, inquisition,
La luxure, l'horreur, le bûcher, le massacre,
Et les saints qu'elle fait et les rois qu'elle sacre,
Et, l'extase au cœur, fiers du joug, captifs, amants,
Ils respirent l'odeur de ses vomissements !

Et dire que la terre est tout entière en proie
Aux affirmations de ces prêtres sans joie,
Sans pitié, sans bonté, sans flambeau, sans raison,
Dont l'ombre, l'ombre, l'ombre et l'ombre est l'horizon !

 

            

                               III : RIEN

 

 

Mais quelqu'un me vient-il en aide, ô nuit farouche ?
J'écoutais, j'entendis. Ombre obscure ! Une bouche
Parlait, et dégageait de la brume en parlant.

- « La croyance est une hydre et vous ronge le flanc.
Niez tout. O vivants, l'atome sort, puis rentre.
Pas de ciel, pas d'enfer. L'ombre éparse. Aucun centre.
Rien n'existe en deçà, rien n'existe au delà.
Tout meurt. Dormez. »

                                Ainsi l'étrange voix parla.
O nuit ! qu'est-ce que c'est que cet auxiliaire ?
Mais écoutons. La voix poursuit.
                                              « O fourmilière,
O foule, ô genre humain ! L'homme flotte, et c'est tout.
Cette apparence d'être est un moment debout ;
Il palpite le temps d'être inique, funeste,
Méchant, obscène, aveugle ; et qu'est-ce qu'il en reste ?
La terre le reprend et dit : A-t-il été ?
Et la terre elle-même est-elle ? O cécité !
Ténèbres ! Vous nommez ces feux follets des âmes ?
C'est du néant. Passant, qu'est-ce que tu réclames ?

« Homme, tu n'as à toi que l'heure où tu te meus,
Triste ou gai, sage ou fou, dans l'affreux tout brumeux !
Goutte d'eau, quand la mer s'ouvre, à quoi bon la lutte ?
Prends ce que ton destin a de clair, la minute,
Avril quand il sourit, la fleur quand elle éclôt.
Laisse au gouffre éternel rouler l'éternel flot.
Vis, meurs.
                       « Tu veux un Dieu, toi l'homme, afin d'en être
Si tu veux l'infini, c'est pour y reparaître.
Quoi ! vivre avant la vie et vivre après la mort !
Traverser toute l'ombre immense avec ton sort !
Que ce cosmos, couvert du voile babélique,
De ton moi misérable à jamais se complique !
Que tout ce que régit l'inconcevable loi
Soit nécessairement un composé de toi !
Que tu n'en puisses point être absent ! que tu fasses,
Toujours vivant, le fond de toutes ces surfaces !
Que jamais l'être humain, rayé, clos, aboli,
Ne s'appelle trépas et ne se nomme oubli !
Quoi ! ce qu'a reçu l'homme, il ne doit pas le rendre !
Il est ; donc il sera ! Quoi, l'homme, cette cendre
Sur qui le vent de vie obscurément souffla,
Être quelqu'un ! Quel rêve absurde fais-tu là !
Ce monde est-il ? Qui sait ? N'est-il pas ? C'est possible.
Tout flotte. Le certain n'est pas dans le visible.
Mais toi, fourmi, ciron, grain de poussière, avoir
Une place quelconque en ce grand chaos noir !
Vain songe du néant dont ton orgueil est dupe !
Vas-tu croire qu'un Dieu '- s'il existe - s'occupe
De toi, larve ! et qu'il veille et médite, agité
Par l'éphémère au fond dé son éternité !

« Matière ou pur esprit, bloc sourd ou dieu sublime,
Le monde, quel qu'il soit, c'est ce qui dans l'abîme
N'a pas dû commencer et ne doit pas finir.
Quelle prétention as-tu d'appartenir
A l'unité suprême et d'en faire partie,
Toi, fuite ! toi monade en naissant engloutie,
Qui jettes sur le gouffre un regard insensé,
Et qui meurs quand le cri de ta vie est poussé !
« Ah ! triste Adam, flocon qui fonds presque avant d'être,
Lugubre humanité, n'est-ce pas trop de naître?
N'est-ce pas trop d'avoir à vivre, en vérité,
O morne genre humain, bref, rapide, emporté !
Il ne te suffit pas, quoique ta fange souffre,
D'apparaître une fois dans la lueur du gouffre!
L'homme éternel, voilà ce que l'homme comprend.
Tu demandes au ciel, au grand ciel ignorant
Qui t'assourdit de foudre et t'aveugle d'étoiles,
Quel fil te noue, ô mouche, à ses énormes toiles,
Comment il tient à l'homme, et quel est ce lien ?
Tu devrais te sentir pourtant tellement rien
Qu'avec ce vil néant que tu nommes ta sphère
Le ciel - en supposant qu'il soit - n'a rien à faire !
Tout ce qu'il peut cacher, couver ou contenir,
Est hors de toi, qui n'as qu'un soir pour avenir.
O le risible effort de rattacher ce dôme
De prodige, d'horreur et d'ombre à ton atome !
Quel besoin as-tu donc d'être de l'univers ?
Chair promise au tombeau, contente-toi des vers !

« Et d'ailleurs, à quoi bon avoir un personnage
Dans ce mystérieux et fatal engrenage ?
A quoi bon être un pli dans ces flux et reflux
Qui font effort pour être et déjà ne sont plus ?
A quoi bon être un chiffre et compter dans la foule
Qui n'est que de l'écume ajoutée à la houle?
Regarde : tout est vain, fuyant, triste, inouï.
Avant d'être apparu, tout est évanoui.
Ces groupes de soleils, de globes, de planètes,
Moins funèbres peut-être ou plus noirs que vous n'êtes ;
Ce zodiaque obscur qui jamais ne finit
De descendre au nadir, de monter au zénith ;
Ces Jupiters, ces Mars, ces Vénus, ces Saturnes,
Qui semblent des édens ou des bagnes nocturnes,
Et qu'on rêve peuplés d'anges ou de démons
D'après l'ombre que font sur leur face les monts ;
Ces visions de cieux que rougit ou que dore
Tantôt le soir sanglant, tantôt la fauve aurore ;
Ces lunes dont on voit l'épouvantable flanc ;
Ces blêmes tourbillons, ces abîmes roulant
Des apparitions de mondes dans leurs vagues ;
Cette succession de créations vagues
Qu'on aperçoit au fond des gouffres entr'ouverts ;
Cet enchevêtrement d'astres et d'univers
Dont la série immense et pâle se dévide
Dans le ciel, dit Platon ; Pyrrhon dit : dans le vide ;
Spectres qui n'ont entre eux rien de commun, sinon
Qu'un chaînon traîne et tire à lui l'autre chaînon ;
Ces constellations confusément tournées
Par la roue invisible et sombre des années,
Et qui te feraient peur si nous pénétrions
Jusqu'aux profonds azurs de leurs septentrions ;
Ces masques effrayants d'une vie inconnue
Qu'entrevoit le songeur au-delà de la nue ;
Ces firmaments qu'on sonde et dont on n'est pas sûr ;
L'aérolithe, errant en foule dans l'azur,
Plus nombreux que l'abeille au sommet de l'Hymète,
Le météore au vol furieux, la comète
Qui s'évade d'un ciel comme d'un cabanon,
Tous ces mondes ne sont que les formes, sans nom
De l'obscurité vaste et morne des espaces ;
Et que gagneras-tu, toi, pauvre esprit qui passes,
Quand tu mêleras l'homme,' et son trouble, et son bruit,
A ces nœuds de fumée ondoyant dans la nuit ?
« Dieu n'est pas. Nie et dors. Tu n'es pas responsable.
Ris de l'inaccessible, étant l'insaisissable.
Sois humble, pas de ciel. Pas d'enfer, sois content.
Fais ce que tu voudras. Personne ne t'attend.
J'ai dit. - »




                       Soit. Plus d'enfer. -

                                                           Mais rien après la vie,
Rien avant ; la lueur des ténèbres suivie ;
Tout ramené pour l'homme à l'instinct animal ;
Le bien n'ayant pas plus raison contre le mal
Que le tropique n'a raison contre le pôle ;
De Sade, triomphant, raillant Vincent de Paule ;
Tout réduit à l'atome inerte, inconscient,
Sourd, tantôt tourmenteur et tantôt patient ;
Tout dans les appétits et dans les épigastres ;
Par l'aube, par le jour, par la nuit, par les astres,
Par l'univers, sur l'homme ouvert et refermé,
Socrate démenti, Lacenaire affirmé;
Pour tout dogme : - « Il n'est point de vertus ni de vices ;
« Sois tigre, si tu peux. Pourvu que tu jouisses,,
« Vis n'importe comment pour finir n'importe où ; » -
Caligulà le sage, Aristide le fou ; ' ;
Jésus-Christ et Judas désagrégés ensemble,
Puis remêlés à l'ombre éternelle qui tremble,
Sans que l'atome, au fond de l'être ou tout périt,
Sache s'il fut Judas ou s'il fut Jésus-Christ ! -

Oui, c'est vrai, plus d'enfer, rêve hideux de Rome,
Plus d'affreux punisseur rôdant derrière l'homme.

Mais tout nivelant tout ; je croyais, tu niais,
Qu'importe ! l'honneur sot, le martyre niais ;
Pas d'âme ; pas de moi qui survive et qui dure ;
L'infâme égalité de l'astre et de l'ordure;
La pourriture, ô deuil î reprenant tout Brutus ;
C'est-à-dire pas plus d'astres que de vertus ;
L'azur roulant, aux plis de ses ténébreux voiles,
Dans un spectre de ciel des fantômes d'étoiles ! -

Oui, c'est vrai, plus de fourche au poing de Lucifer,
Plus d'éternel bûcher flamboyant, plus d'enfer.

Mais l'atome Attila, fatal, irresponsable,
Comme l'atome feu, comme l'atome sable,
Innocent, ne pouvant pas plus être accusé
Pour un peuple aboli, pour un monde écrasé
Que l'un d'éboulement et l'autre d'incendie ;
Que Job racle sa plaie et qu'Homère mendie,
Trimalcion les vaut, faisant un bon repas ;
Marc-Aurèle ? A quoi bon ? Tibère ? Pourquoi pas ?
Néron, Trajan, ce n'est qu'une forme qui flotte ;
Ce que vous nommez czar, tyran, bourreau, despote,
Mange de l'homme ainsi que vous mangez du pain ;
Après ? Pour le grand tout, qui vous permet la faim,
Un grain de blé mûr pèse autant que Caton libre ;
Tout rentre dans l'immense et tranquille équilibre
Dès que le pain est mort et l'homme digéré.
Demain le dévorant sera le dévoré ;
L'atome qui fut aigle, éperdu, fuira l'aile
De l'atome qui fut colombe ou tourterelle ;
Les transformations du gouffre écraseront,
Roi, ce qui fut ton pied sous ce qui fut mon front ;
L'agneau devenu loup teindra de sang sa griffe,
Et ce sera le tour de Christ d'être Caïphe,
Sans même que ce soit revanche et châtiment,
Nul n'ayant conscience en dehors du moment,
Le fil étant rompu d'un avatar à l'autre.
Qu'appelez-vous faux, vrai, droit ou devoir ? L'apôtre,
Le bourreau, le héros, le traître, tout est vain.

Oh ! que rien ne soit plus bon, grand, sacré, divin ;
Que tout soit le hasard, l'ébauche, le décombre,
L'éclosion du pou dans les cheveux de l'ombre ;
Que la création, ivre d'obscurité,
Soit idiote, et n'ait à son extrémité
Rien qu'on puisse nommer amour, raison, justice ;
Qu'après avoir vomi, lugubre, elle engloutisse ;
Et n'ait pour résultat, en souffrant, en créant,
Que de donner un peu de vermine au néant ;
Qu'il ne soit pas prouvé que cette terre, en somme,
Sent la démangeaison de la vie et de l'homme ;
Qu'il ne soit nulle part d'idéal, ni de loi ;
Que tout soit sans réponse et demande pourquoi ;
Que l'être, en supposant que l'abîme livide
Ne nous recrache pas ce mot sinistre et vide,
Se résolve, au milieu d'un vain frisson qui fuit,
En un fourmillement aveugle dans la nuit ;
Que le fond noir de tout rampe, et soit quelque chose
Qui ne sait pas, qui luit sans jour, qui va sans cause,
Un hideux bloc abstrait, pas même une prison,
Une espèce de mort énorme, sans raison
Pour entrer dans la nuit, pour sortir de la tombe,
Un vague tournoiement de poussière qui tombe... —
Quoi! lorsqu'on s'est aimé, pleurs et cris superflus36!
Ne jamais se revoir, jamais, jamais ! ne plus
Se donner rendez-vous au delà de la vie!
Quoi ! la petite tête éblouie et ravie, .
L'enfant qui souriait et qui s'en est allé,
Mères, c'est de la nuit ! cela s'est envolé !
Quoi! toi que j'aime, toi qui me fais de l'aurore,
Femme par qui je sens en moi l'archange éclore,
Quoi ! le néant rira quand, pâle, je dirai :
- Attends-moi, je te suis, je viens, être adoré!
Prépare-moi ma place en ton lit solitaire ! -
Quoi! le seul lieu qu'on ait besoin d'aimer sur terre
Et de sentir vivant, le tombeau, serait mort !
En présence des cieux, quoi ! l'espérance a tort !
Le deuil qui tord mon cœur en exprime un mensonge!
Pas d'avenir ! un vide où l'œil égaré plonge !
Fosse en la profondeur, linceul sur la hauteur !
Pour mouvement la vie et la mort pour moteur !
La cécité, tournant sans but sur elle-même,
Engendre la lumière, imposture suprême ;
L'être inutilement s'élève et se détruit ;
Le monde croule au gré d'une haleine de nuit ;
Le vent est l'enveloppe obscure de la brume ;
Pour s'éteindre à jamais un instant on s'allume ;
Tout est l'horrible roue, et Rien le cabestan !...
Rien !

           Oh ! reprends ce Rien, gouffre, et rends-nous Satan !

 

 

                       IV : DES VOIX

 

 Et j'entendais des voix au milieu des nuées ;
Un divin chant d'extase, un noir bruit de huées
Passait.


UNE VOIX

                  Le cheval doit être manichéen.
Arimane lui fait du mal, Ormus du bien ;
Tout le jour, sous le fouet il est comme une cible,
Il sent derrière lui l'affreux maître invisible,
Le démon inconnu qui l'accable de coups ;
Le soir, il voit un être empressé, bon et doux,
Qui lui donne à manger et qui lui donne à boire,
Met de la paille fraîche en sa litière noire,
Et tâche d'effacer le mal par le calmant,
Et le rude travail par le repos clément ;
Quelqu'un le persécute, hélas ! mais quelqu'un l'aime.
Et le cheval se dit : « Ils sont deux. » C'est le même.


AUTRE VOIX

L'instant de dénouer la chimère est venu ;
La vie, inexprimable effort dans l'inconnu,
Est terminée, erreur, ou folie, ou bravade ;
Et voici le moment fatal. L'âme s'évade,
L'homme expire. On a vu sur son logis tremblant
Planer l'ange Trépas, l'oiseau noir, l'oiseau blanc,
Corbeau pour les méchants et pour les bons colombe ;
C'est fini. Maintenant, que devient dans la tombe
Le corps, ce compagnon auquel l'âme avait cru ?
Attends un peu de temps. Cherche. Il a disparu.
Cherche. Il s'est dissipé. Cherche encor, fouille, creuse,
Et tâte avec la main sous cette voûte affreuse.
Que trouves-tu ? Regarde. Est-ce cela ? Oui. Non.
Qu'est-ce ? Cela n'a plus de forme ni de nom ;
C'est noir comme la nuit et vain comme la cendre ;
C'est l'homme. Et si tu veux demain y redescendre,
Tu ne trouveras plus, dans ce hideux réduit,
Même ce peu de cendre et ce reste de nuit.

A peine est-il couché, débris dans les décombres,
Que les mille éléments, tous ces créanciers sombres,
Qui l'avaient pour un -temps à l'âme concédé,
Redemandent ce corps par les vers seuls gardé ;
Et chacun - car la vie a la mort pour domaine -
Prend ce qui lui revient dans cette argile humaine.
Tout atome, dans l'eau, dans la terre ou dans l'air,
Est un Shylock qui veut sa part de cette chair.
O nature sans fond ! gouffre avare et rapace !
Partout, en haut, en bas, dans la nuit, dans l'espace,
Tout réclame à la fois, tout s'ouvre en même temps,
La pierre, le buisson, le miasme des étangs,
La poussière, la fleur, le vent, la flamme ardente ;
Et, dans la profondeur des ténèbres pendante,
La matière dont l'homme était formé s'épand,
Et se cache ; et, glissant, coulant, tombant, rampant,
Se hâte de crouler dans tous ces précipices.
Et, soit qu'elle ait là-haut trouvé les cieux propices,
Grâce au bien qu'elle a fait, au beau qu'elle a pensé,
Soit qu'ayant mal vécu, traînant un vil passé,
Elle ait vu se fermer devant elle l'aurore,
L'âme, envolée au fond de la mort sombre, ignore
Cette fuite rapide et sinistre du corps.


AUTRE VOIX

J'entends les vivants rire ; ils deviendront les morts.


AUTRE VOIX

Alors que feront-ils ?


AUTRE VOIX

                                Rien.


AUTRE VOIX

                                               Tout.


AUTRE VOIX

                                                                  Passez, nuages.


AUTRE VOIX

Tous vos azurs sont faux.


AUTRE VOIX

                                    Moins faux que vos orages.


AUTRE VOIX

Oui, je te le redis, homme, malheur à toi
Si dans quelque docteur ton ignorance a foi !
Malheur à ton esprit s'il dit comme tant d'autres :
- Je questionnerai les savants, ces apôtres,
Et j'interrogerai les penseurs, ces devins ;
J'irai, j'approcherai les instructeurs divins,
Les poëtes dont l'aube éclaire les visages,
Les hommes lumineux du mystère, les sages,
Ces colonnes d'azur du temple de la nuit ! -

Sache que nul n'enseigne et que nul ne conduit ;
Nul n'est colonne et rien n'est temple ; sache encore
Qu'Antisthène, Amphion, Pindare, Stésichore,
Terpandre et Callimaque ont des ailes de plomb ;
Qu'Arouet, Kant, Hegel n'en savent pas plus long ;
Et que le sphinx qui dit la parole certaine
N'est pas plus dans Ferney qu'il n'était dans Athène.

De tout temps les rêveurs ont fait dans le ciel bleu
Des fouilles du côté de ce qu'ils nomment Dieu ;
Ils ont le doute au cœur ou la prière aux lèvres ;
Ils ont construit, détruit, et, pour calmer leurs fièvres,
Tristes, ont appuyé leur tête au marbre froid.

Homme, tout ce que l'homme enseigne, pense, croit,
Tout ce qu'il grave, écrit, constate, affirme, sculpte,
De science publique ou de doctrine occulte,
Sur le papier, le bois, l'airain, sur les frontons
Des grands temples obscurs pleins d'âmes à tâtons ;
Balaam sur l'Euphrate, Apulée à Madaure,
Tout ce qu'on imagine et tout ce qu'on adore,
Figulus enseignant Cicéron, Érechto
Dont Pompée à genoux lève le noir manteau,
Les prêtres, les rhéteurs drapés dans leurs chlamydes,
Les bibles, les talmuds sacrés, les pyramides,
Le difforme alphabet de pierre du galgal,
Les cylindres de Tyr, les runes de Fingal,
Les papyrus de Thèbe et d'Endor, qu'on adopte
Le texte égyptien ou la version copte,
Vos sages admirés, Épicure, Thalès,
Diogène, Apulée, Érasme, Rabelais,
Platon, que l'idéal laisse boire à son urne,
Kant, Leibnitz, tout cela n'est qu'un souffle nocturne.

Si tu le veux, fais-toi de l'audace un devoir ;
Propose-toi ce but redoutable : savoir,
Cette façon splendide et suprême de naître.
Entre dans le nuage insondable ; pénètre
Dans l'horreur des Horebs, des Brockens, des Thabors ;
Va ! mais commence, avant d'en tenter les abords,
Par laisser de côté la sagesse des hommes.

Le peu que nous savons tient au peu que nous sommes ;
Écoute. L'homme à peine, avec ou sans appuis,
A creusé l'inconnu qu'il a comblé son puits ;
Alors il cherche, alors il rencontre, il dévie,
Se croit mage, ou se fait prêtre.

                                           Passe ta vie
A labourer l'écume et l'onde, n'arrivant
Que pour partir, parmi le tumulte et le vent ;
Habite Terre-Neuve, ou Zante, ou Tombelaine ;
Sois pêcheur de hareng, sois pêcheur de baleine ;
Emplis ton brick solide ou ta barque sans ponts
De traînes, de filets, de dragues, de harpons ;
Affronte des écueils les sinistres statures ;
Sois forban ; sois coureur de flots et d'aventures ;
Quand même tu vivrais dix ans, vingt ans, cent ans,
Ayant sous toi le gouffre et sur toi les autans,
Lutteur du risque, et roi d'une planche qui flotte,
Fusses-tu le plus vieux et le plus noir pilote,
Jason sur le dromon, Fulton sur le steamer,
Tu ne connaîtras pas la formidable mer.

Ces choses sans limite où flottent des fumées
Résistant, et toujours béantes, sont fermées ;
Le chercheur, tâtonnant dans ce fatal milieu,
Quand il serait Platon, ne connaîtra pas Dieu.


AUTRE VOIX

Prenez garde. Observez l'obscure parallèle.
Le pas s'appuie au pas, l'aile s'appuie à l'aile.
Quoiqu'on retrouve au fond de tout culte la nuit
De l'homme, par qui Dieu trop souvent est construit,
Quoiqu'un dogme, ô penseur, ne soit qu'une masure
En attendant la vie et la vérité pure,
Quoique l'humanité doive porter en soi
La sagesse sereine et non l'aveugle foi,
Quoiqu'une bible, livre à deux sens, atrophie
Et blesse trop souvent l'âme qu'on lui confie,
Quoique, presque toujours, effarant les esprits,
La religion soit une chauve-souris
Faite de vie et d'ombre, et dont l'aile a pour griffes
Les prêtres, les docteurs, les bonzes, les pontifes,
Il faut que l'homme croie à quelque chose ; il faut
Qu'à côté de la chair qui le gouverne trop,
Le mystère lui parle et l'exhorte, et l'élève
Du sommeil où l'on dort au sommeil où l'on rêve.
Ah ! l'être infortuné qui ne croit pas est nu
Sous le ciel redoutable et lourd, sous l'inconnu !
O vivants ! il vous faut des prêtres, quels qu'il soient.
A travers les plus noirs les vérités flamboient ;
Il tombe encore un peu de jour sur vos chevets,
Même des plus abjects, même des plus mauvais ;
Mais pour verser plus tard sur l'humanité mûre
La parole d'amour que l'avenir murmure,
Le ciel, au-dessus d'eux, sur d'éclatants degrés
Met les voyants directs, les sages inspirés.
Car l'homme fait le prêtre et Dieu seul fait le mage.

Je préfère, ô songeur, le wigwam du sauvage
Où l'homme attend la femme, où du moins on est deux,
Au manitou qui fait, au fond des bois hideux,
Joindre les mains au nègre et les pattes au singe ;
Au wigwam le cromlech, au cromlech la syringe ;
Aux syringes du Nil le sombre temple hébreu ;
Au temple, la mosquée avec son dôme bleu
Et son minaret blanc dans la tiède atmosphère ;
Et comme il faut monter sans cesse, je préfère
L'église à la mosquée, à l'église l'azur.
L'homme, être mixte au front sublime, au pied impur,
Va toujours refaisant et transformant ses arches ;
Chaque âge avance ; on voit, sur chacune des marches
Du sombre esprit humain montant dans l'ombre à Dieu,
Un temple où de l'amour grandit le chaste feu ;
Passant d'un ciel plus noir dans un air plus salubre,
De moins en moins cruel, de moins en moins lugubre ;
Chaque temple nouveau, grec, juif, égyptien,
A sa base au niveau du faîte de l'ancien ;
Sur celui qui s'élève un autre monte encore ;
Et le plus haut fronton se dissout dans l'aurore.


AUTRE VOIX

O rêves ! vision des vagues paradis !
Crois-tu que l'inconnu soit quelque chose, dis,
Dont ton cerveau chétif puisse se faire idée?
Créature par l'être absolu débordée,
Homme étonné d'un grain germant dans le sillon,
Ébloui d'une pourpre au dos d'un papillon,
Tremblant d'un choc d'écume ou d'un râle d'orfraie,
Déjà ce que tu vois te dépasse et t'effraie,
Pourrais-tu supporter ce que tu ne vois point ?
Le gouffre où le réel aux chimères se joint,
L'aspect de l'insondable et de l'inaccessible,
Le côté ténébreux de l'univers terrible,
Flottant dans l'infini, dans la brume perdu,
Et dans on ne sait quoi d'horrible et d'éperdu ?
Serais-tu comme Jean, l'homme hagard, capable
De regarder l'obscur, de tâter l'impalpable ?
Pourrais-tu contempler avec tes yeux de chair
Les apparitions du rêve et de l'éclair,
Les éclipses, les blocs, les profondeurs, les rides,
Les agitations des surfaces livides,
La stagnation morte et malsaine des eaux,
Les glissements des vers monstrueux du chaos,
Les larves se montrant à demi, les sorties .
De têtes par la vase affreuse appesanties.
Les fléaux s'accouplant parmi les éléments,
L'horreur des suintements et des fourmillements,
Et les êtres sans nom, et les formes immondes,
Et les vagues tumeurs du cloaque des mondes ?
Te représentes-tu l'indicible stupeur
De ce qui s'entrevoit dans l'ombre, et se fait peur ;
Ici la marche lourde, ailleurs la fuite prompte;
Le double effroi d'en haut, d'en bas, qui se confronte ;
Le vent fauve traînant le nuage en haillon ;
Le météore ayant horreur du tourbillon ?
Connais-tu les deux nuits : la morte et la vivante ;
La vivante, engendrant le monstre, l'épouvante,
L'hydre, les dévorant sans fin et les créant ;
La morte, c'est-à-dire un vide, le néant,
Une ouverture aveugle et par l'effroi formée,
De l'ombre qui n'est plus même de la fumée,
Le silence hideux et funèbre de Rien ?


AUTRE VOIX

Quand on sent se mouvoir l'universel lien
Qui joint le plus petit des atomes à l'être
Le plus démesuré que le gouffre ait vu naître,
Et qui fait, dans l'abîme où rien n'est endormi,
Tressaillir Sirius au poids d'une fourmi,
Quand les germes confus dans les ombres profondes
S'agitent, détruisant et produisant des mondes,
Mêlés aux voix, aux sons, aux chants, aux cris, aux pas,
Faisant et défaisant, et ne le sachant pas,
Quand l'azur semble ému, bien au delà des nues,
Par une éclosion d'étoiles inconnues,
Lorsqu'en soi, stupéfait, on sent et l'on comprend
Quelque chose de fort fait par quelqu'un de grand,
Quand l'eau fuit, quand le sol tremble, quand l'air murmure,
Quand de la forêt sombre il sort un bruit d'armure,
Quand l'oiseau sur son nid, dans les bois frémissants,
Chante un chant dont lui-même il ignore le sens,
L'immensité du fait prodigieux dépasse
L'ombre, le jour, les yeux, les chocs, le temps, l'espace,
Elle est telle, et le point de départ est si loin
Que, tous étant agents, personne n'est témoin.


AUTRE VOIX

Querelles ! bruits ! rumeurs ! cris ! morsures ! piqûres !
O passages du vent dans les branches obscures !


AUTRE VOIX

Dante écrit deux vers, puis il sort ; et les deux vers
Se parlent. Le premier dit : - Les cieux sont ouverts !
Cieux ! Je suis immortel. - Moi, je suis périssable,
Dit l'autre. - Je suis l'astre. - Et moi le grain de sable.
- Quoi ! tu doutes étant fils d'un enfant du ciel !
- Je me sens mort. - Et moi, je me sens éternel. -
Quelqu'un rentre et relit ces vers, Dante lui-même ;
Il garde le premier et barre le deuxième.
La rature est la haute et fatale cloison.
L'un meurt, et l'autre vit. Tous deux avaient raison.

 

 

                         V : DES VOIX

 

 

 As-tu vu méditer les ascètes terribles ?
Ils ont tout rejeté, talmuds, korans et bibles.
Ils n'acceptent aucun des védas, comprenant
Que le vrai livre s'ouvre au fond du ciel tonnant,
Et que c'est dans l'azur plein d'astres que flamboie
Le texte éblouissant d'épouvante ou de joie.
Contemplant ce qui n'a ni bord, ni temps, ni lieu,
Absorbés dans la vue effrayante de Dieu,
Farouches, ils sont là, chacun seul dans l'espèce
D'horreur qu'il a choisie au bord de l'ombre épaisse,
Faisant vers l'inconnu toujours le même effort,
L'un dans un vieux tombeau dont il semble le mort,
L'autre, sinistre, assis dans un trou du tonnerre
Au tronc prodigieux d'un cèdre centenaire,
L'autre livide et nu dans un creux de rocher,
Muets, affreux, laissant les bêtes s'approcher,
Pas plus importunés sous leur fauve auréole
D'un tigre qui rugit que d'un oiseau qui vole,
Le désert les a vus à jamais s'accroupir.
Jamais un mouvement et jamais un soupir.
Ont-ils faim? ont-ils soif? Quand luit l'aube embrasée,
Ils ouvrent vaguement leur bouche à la rosée,
Et la rouvrent parfois quand vient le soir hagard.
Si la pensée était saisissable au regard,
On verrait le néant, l'éternité, le monde,
L'énigme plus lugubre encor quand on la sonde,
Tomber de leurs fronts noirs comme l'ombre des ifs ;
Ils songent, ni vivants, ni morts, spectres pensifs,
Entre la mort trompée et la vie impossible ;
L'été passe ; l'hiver vide sur eux son crible ;
Ils ne regardent rien que l'obscur firmament,
Et dans des profondeurs d'anéantissement
Ces êtres, abrutis par l'idéal, s'abîment.
Nul ne sait quels courants d'infini les raniment
A mesure que l'homme en eux s'évanouit.
L'ouragan monstrueux leur parlé dans la nuit
Comme le célébrant parle au catéchumène,
Et ces hideux esprits perdent la forme humaine.
L'aigle leur dit un mot à l'oreille en passant ;
Ils font signe parfois à l'éclair qui descend ;
Ils rêvent, fixes, noirs, guettant l'inaccessible,
L'œil plein de la lueur de l'étoile invisible.

  •  


Invisible ! Ai-je dit invisible ? Pourquoi ?

  •  


Il est ! Mais nul cri d'homme ou d'ange, nul effroi,
Nul amour, nulle bouche, humble, tendre ou superbe,
Ne peut balbutier distinctement ce verbe !
Il est ! il est ! il est ! il est éperdument !
Tout, les feux, les clartés, les cieux, l'immense aimant,
Les jours, les nuits, tout est le chiffre; il est la somme.
Plénitude pour lui, c'est l'infini pour l'homme.
Faire un dogme, et l'y mettre ! ô rêve ! inventer Dieu !
Il est ! Contentez-vous du monde, cet aveu !
Quoi ! des religions, c'est ce que tu veux faire,
Toi, l'homme ! ouvrir les yeux suffit ; je le préfère.
Contente-toi de croire en Lui ; contente-toi
De l'espérance avec sa grande aile, la foi ;
Contente-toi de boire, altéré, ce dictame ;
Contente-toi de dire : — Il est, puisque la femme
Berce l'enfant avec un chant mystérieux;
Il est, puisque l'esprit frissonne curieux;
Il est, puisque je vais le front haut; puisqu'un maître
Qui n'est pas lui, m'indigne, et n'a pas le droit d'être;
IÎ est, puisque César tremble devant Patmos ;
Il est, puisque c'est lui que je sens sous ces mots :
Idéal, Absolu, Devoir, Raison, Science ;
Il est, puisqu'à ma faute il faut sa patience,
Puisque l'âme me sert quand l'appétit me nuit,
Puisqu'il faut un grand jour sur ma profonde nuit ! -
La pensée en montant vers lui devient géante.
Homme, contente-toi de cette soif béante ;
Mais ne dirige pas vers Dieu ta faculté
D'inventer de la peur et de l'iniquité,
Tes catéchismes fous, tes korans, tes grammaires,
Et ton outil sinistre à forger des chimères.
Vis, et fais ta journée ; aime et fais ton sommeil.
Vois au-dessus de toi le firmament vermeil ;
Regarde en toi ce ciel profond qu'on nomme l'âme ;
Dans ce gouffre, au zénith, resplendit une flamme.
Un centre de lumière inaccessible est là.
Hors de toi comme en toi cela brille et brilla ;
C'est là-bas, tout au fond, en haut du précipice.
Cette clarté toujours jeune, toujours propice,
Jamais ne s'interrompt et ne pâlit jamais ;
Elle sort des noirceurs, elle éclate aux sommets ;
La haine est de la nuit, l'ombre est de la colère !
Elle fait cette chose inouïe, elle éclaire.
Tu ne l'éteindrais pas si tu la blasphémais ;
Elle inspirait Orphée, elle échauffait Hermès ;
Elle est le formidable et tranquille prodige ;
L'oiseau l'a dans son nid, l'arbre l'a dans sa tige ;
Tout la possède, et rien ne pourrait la saisir ;
Elle s'offre immobile à l'éternel désir,
Et toujours se refuse et sans cesse se donne ;
C'est l'évidence énorme et simple qui pardonne ;
C'est l'inondation des rayons, s'épanchant
En astres dans un ciel, en roses dans un champ ;
C'est, ici, là, partout, en haut, en bas, sans trêve,
Hier, aujourd'hui, demain, sur le fait, sur le rêve,
Sur le fourmillement des lueurs et des voix,
Sur tous les horizons de l'abîme à la fois,
Sur le firmament bleu, sur l'ombre inassouvie,
Sur l'être, le déluge immense de la vie !
C'est l'éblouissement auquel le regard croit.
De ce flamboiement naît le vrai, le bien, le droit ;
Il luit mystérieux dans un tourbillon d'astres ;
Les brumes, les noirceurs, les fléaux, les désastres
Fondent à sa chaleur démesurée, en tout
En sève, en joie, en gloire, en amour, se dissout ;
S'il est des cœurs puissants, s'il est des âmes fermes,
Cela vient du torrent des souffles et des germes
Qui tombe à flots, jaillit, coule, et, de toutes parts,
Sort de ce feu vivant sur nos têtes épars.
Il est ! il est ! Regarde, âme. Il a son solstice,
La Conscience ; il a son axe, la Justice ;
Il a son équinoxe, et c'est l'Egalité ;
Il a sa vaste aurore, et c'est la Liberté.
Son rayon dore en nous ce que l'âme imagine.
Il est ! il est ! il est ! sans fin, sans origine,
Sans éclipse, sans nuit, sans repos, sans sommeil.

Renonce, ver de terre, à créer le soleil
.

 

 

                        

 

 

                                                                                         Victor  HUGO.
 

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