CRITIQUE RELIGIEUSE

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            L ' ÂME DES BÊTES 

                                                                              ( Louis Guidi  inédit à notre époque)

THÈMES ABORDES : LE dessein intelligent , L'EXISTENCE DE DIEU, L'IMMORTALITÉ DE L'ÂME, LES ANIMAUX ONT UNE ÂME.

          

            Je me faisais bon gré, mon cher Mentor, d'avoir engagé le Marquis dans une question aussi délicate que celle de l' "Âme Des Bêtes". Nos amis la regardent, avec raison, comme une de leurs grandes ressources pour faire naître les doutes et former des contrastes entre les bêtes et les hommes, souvent au désavantage des derniers. Pressé par les raisonnements du Marquis sur l'immortalité, je saisis avec empressement ce moyen d'échapper, et ne négligeais rien pour le faire valoir.

        Dès le matin je me rendis dans le cabinet de villemont, que je trouvais déjà fort occupé sur ce sujet avec Baile et Montagne; leur lecture avait remonté son imagination; et le trouvant tout prêt a me seconder, M. le Chevalier, lui dis-je, le Marquis triomphe; mais nous avons aujourd'hui le plus beau champ du monde pour prendre notre revanche : il n'a pas craint d'accepter notre défi sur un sujet qui, de quelque côté qu'on l'envisage, est propre à  le déconcerter.

      De deux choses l'une, ou les bêtes ont une âme, ou elles n'en ont pas : nous pouvons soutenir, vous le premier de ces sentiments et moi l'autre; et cependant conclure l'un et l'autre contre notre immortalité. Vous en admettant une âme raisonnable dans les bêtes pour leur donner droit à toutes les prérogatives des hommes, ce que le Marquis ne peut vous accorder sans se jeter dans un nouveau labyrinthe de difficultés; et moi je pourrai, par les seuls ressorts de la mécanique expliquer les opérations des bêtes, et de faire sentir en même temps que celles des hommes peuvent recevoir la même explication : par là nous mettrons toujours les hommes et les bêtes au même niveau. 

          j'y consents, me dit Villemont; mais vous connaissez les Dames, elles ont une imagination tendre et délicate : la Comtesse, vous le verrez, rejettera ces deux sentiments, et se déclarera pour celui d'une âme sensible et périssable avec le corps. Je le prévois, lui dis-je. En ce cas, j'embrasserai ce systême d'autant plus volontiers, qu'il me conduit plus facilement à mon but : une âme sensible et mortelle qui suffit dans les bêtes pour leurs mouvement, peut suffire dans les hommes pour leurs opérations. Par-là j'aurai l'avantage, en allant plus sûrement à mon but, de ménager encore le préjugé que révolte le pur cartésianisme. 

       D'accord sur le plan que nous suivrions, nous travaillâmes pendant la matinée à le remplir, en recueillant diverses idées propres à former, par leur union, un corps de systême. Le dîner passa fort bien. L'air de réflexion que nous portâmes à table, n'empêcha pas notre appetit de s'exercer sur le gibier dont elle était couverte. La Comtesse s'en étant apperçue : MM. les Philosophes, dit-elle en riant, vous n'êtes pas gens sans doute à donner des âmes aux cailles, aux perdrix; la manière dont vous les traîtez fait bien voir ce que vous en pensez.

     Pourquoi, Madame, lui dit Villemont ? Nous suivons l'ordre établi dans la Nature. Le Créateur abandonne les plus faibles aux plus forts. Les gros poissons mangent les petits, les oiseaux vivent de vers et de mouches, et nous, vous vivons des oiseaux. Comme Villemont parlait encore, Scipion (le "negre" de la Comtesse) vint à marcher par hasard sur la patte de la chienne : celle-ci jette à l'instant un cri, sa maîtresse en fit autant.

      Sa colère allait éclater, lorsque me tournant vers elle : "-Eh quoi ! Madame, lui dis-je, pour une vile machine inanimée, vous vous emporteriez contre une créature raisonnable, que son âme ....... "-Comment, reprit-elle avec promptitude, ma chienne une machine inanimée ? Est ce qu'elle n'est pas vivante ?" -   

     "Madame, lui dis-je, vivre et mourir ne se disent qu'improprement des arbres, des plantes, des animaux; vivre, c'est avoir une âme, et la mort n'est autre chose que la séparation de l'âme et du corps; sans quoi l'on pourrait dire, dans le même sens que des animaux, que ma montre est vivante quand elle va, et qu'elle est morte quand elle n'est pas montée". "-Je vois bien M. le Président, reprit la Comtesse, que vous badinez. Moi j'aime ma ma chienne, j'en suis aimée : je crois qu'elle sent de la douleur quand on la frappe; et c'est me chagriner que de la faire souffrir."

      S'appercevant alors que le Marquis la regardait d'un air de pitié : -"Cher oncle, dit-elle, vous paraissez me plaindre et me regarder comme dans l'aveuglement." -"Sur ce point, Madame lui dit le Marquis, une erreur en ce cas serait bien pardonnable; c'est une question bien épineuse que celle des bêtes, plus on y pense, et plus on s'y perd : les animaux sont sans doute ces ouvrages sur lesquels le Créateur a mis son sceau, pour s'en réserver le secret à lui seul. On ne peut donc avancer sur un tel sujet que des hypothèses, dont la plus vraissemblable mérite la préférence, mais je pense que parmi ces nombreux systêmes que les imaginations des hommes ont enfantés là-dessus, on ne doit faire aucune attention à ceux qui sont à favoriser les bêtes (animaux) aux dépens des hommes, à confondre les uns avec les autres.

          C'était-là le moment pour nous de rompre le silence; aussi Villemont, prenant la parôle : -"Monsieur, dit-il, j'ai peine à vous passer cette dernière réflexion. Ne serait-elle pas l'effet d'un ancien préjugé, ou le fruit de notre orgueil ? La distance prodigieuse que nous supposons entre les bêtes (animaux) et nous, est-elle aussi réelle que notre amour-propre voudrait nous le persuader ?

      On remarque bien quelque différences entres les bêtes (animaux) et les hommes; mais les traits de ressemblance entre eux ne sont-ils pas en plus grand nombre, et plus sensibles ? A en juger de Badine et de Scipion que sur les apparences, ne serait-on pas tenté de croire que leur différence ne vient que de la différente disposition de leurs organes; en sorte que si l'on pouvait faire entre entre eux un échange des principes d'être qui les animent, leurs opérations seraient les mêmes; et donnant une âme à l'un, pourquoi n'en pas supposer une dans l'autre ?

      Une âme dans les bêtes (animaux)! s'écria la Comtesse : - "Messieurs, M. le Chevalier paraît aimer les opinions étranges : Qu'elles soient contradictoires ou non, n'importe, pourvu qu'elles soient singulières. Dans notre premiere conversation, Monsieur soutenait que les hommes n'ont point d'âmes, qu'ils ne sont que matière, que la matière peut penser; il prétend aujourd'hui que les bêtes (animaux ) ont des âmes, et pensent ainsi que les hommes .......... Courage, Monsieur, continuez de défendre la cause de Badine; elle me paraît être en bonnes mains.  

           Piqué de cette ironie, - "Madame, lui répliqua Villemont, si la contradiction que vous appercevez est sensible, elle pourrait m'être favorable : je ne puis être vaincu sur le dernier point, sans être en droit de revenir sur le premier. Car enfin, pourrais-je dire, si les bêtes (animaux) n'ont point d'âme, et qu'elles paraissent en avoir, n'en serait-il pas de même des hommes ? Ainsi je cours peu de risques en suivant mon idée. Voyez, Monsieur, dit-il au Marquis, si mon hypothèse sur l'âme des bêtes (animaux) est la moins vraissemblable; mais on n'en peut juger qu'après m'avoir permis de la développer toute entière. 

          L'être infini possède seul la plénitude de la vie. En formant l'univers, il en anima les parties par des semences de vie qu'il répandit dans tous les êtres. Tout ce qui vit dans la Nature, ne reçoit de vie que de Dieu. La source est la même, et les reuisseaux qui s'en écoulent ne diffèrent entre eux que par leur plus ou moins grande abondance. 

     Les diverses destinations des êtres demandaient de la diversité dans leur partage; aussi le Créateur, pour ménager leur concours au bien général, proportionne, par son souffle divin, la mesure de vie qu'il communique aux besoins que les êtres en ont pour arriver à leur fin; mais depuis le ver de terre jusqu'au plus parfait des Anges, on pourraît remonter par des degrés sans nombre qui font, en remplissant ce prodigieux intervalle, le même effet que les nuances dans la peinture : le point  où l'obscur cesse et le clair commence, est imperceptible. Les germes de vie sont donc les mêmes dans les créatures animées; mais quoique des semences se resemblent, leur fécondité cependant dépend des dispositions des terres qui sont différentes. Les corps des animaux sont ces différentes terres. L'arrangement de leurs parties, la délicatesse ou la grossièreté de leurs organes, sont propres à faciliter ou à ralentir l'activité de ce principe vivifiant caché dans leur sein.

     L'univers est comme un grand jeu d'orgues : le vent est habilement distribué dans les tuyaux grands et petits; c'est le même vent dans tous; mais les tuyaux sonts différents : aussi, qu'elle diversité dans les sons ! Et de cette variété de sons résulte, en fait d'harmonie, un tout qui enchante et ravit d'admiration.

          Ce principe est comme une clef qui n'ouvre le sanctuaire de la Nature : du fond de ce sanctuaire part un souffle fécond, qui porte la vie dans les êtres disposés à la recevoir, et qui la modifie selon leurs dispositions; en sorte que la même portion de vie qui fait nager le poisson, ferait voler l'oiseau, courir le chien, gambader le singe, marcher l'homme, et ramper le vermisseau : la différente structure des corps cause des mouvements différents .........

     Vous m'attendez, je le vois bien, à l'explication des phénomènes de l'intelligence. Je ne désavouerai point ici mon embarras; mais si j'avais les mêmes connaissances de l'Anatomie que le Créateur; si j'étais en état de faire de tous les organes possibles toutes les analyses dont ils sont susceptibles; si j'avais approfondi tous les effets que peuvent produire les mélanges infiniment variés de la bile avec le sang, les phlegmes avec les sels, des acides et des alkalis : je pourrais sans doute vous expliquer comment la même étincelle de vie qui est un principe d'industrie dans l'abeille, de fidélité dans le chien, de prudence dans la fourmi, aurait pu devenir la source dans Demosthène, d'une éloquence passionnée, et dans Buffon, de mille subtils raisonnements, mais au dessous de ces connaissances qui n'appartiennent qu'à l'intellect infini : la Nature ne paraît-elle pas suppléer par les images sensibles qu'elles nous présente ?

          Pourquoi des rapports si marqués entre les opérations des hommes et celles des bêtes (animaux) ? Et ne remarquons-nous pas que ces rapports sont d'autant plus fidèles, que la conformité entre les organes est plus parfaite, et que la différence au contraire de ceux-ci, plus ou moins grande, en entraînne plus ou moins dans les autres ? Je conviens qu'on pourrait suspendre son jugement, si les traits de resssemblance entre l'homme et la bête (animal) n'étaient qu'en petit nombre; mais en quoi n'en remarque t-on pas ? Même passion dans l'un et l'autre; même industrie même apparence de crainte, de joie, de douleur, de désir, de raisonnement.

      En quoi sur-tout admire t-on l'industrie et la raison des hommes ? Dans les édifices qu'ils construisent pour se garantir des injures de l'air; dans la symétrie, dont ils observent les règles; dans les tissus de laine et de soie, dont ils se forment des vêtements; dans les remêdes qu'ils se procurent, s'ils sont malades; dans les précautions qu'ils prennent en santé, pour ne pas le devenir; dans la justesse de leurs mesures, qu'ils doivent à la géométrie......On conclut de tout cela, que les hommes ont de l'intelligence; d'accord : mais où je vois les mêmes effets, ne puis-je supposer la même cause, sur-tout quand elle est invisible, de l'aveu de tout le monde ?

      Or, en fait de Géométrie, quelle marque de connaissance ne donnent pas les grues ? Ces oiseaux pour passer dans des climats plus chauds, veulent-ils faire le trajet des mers ? Avec quelle justesse ils forment, en s'unissant, un triangle équilatéral, dont le sommet fend l'air, et la base est poussée par les vents ! De plus, ne trouve t-on pas des républiques de géomêtres dans les abeilles, d'architectes dans les hirondelles, de maçons dans les castors, d'économes intelligents dans les fourmis ?

     L'art d'ourdir la toile c'est à l'araignée qu'on le doit; dans celui de tendre un piège, quel plus grand maître que le renard ? En fait de logique, en est-il une plus exacte que celles des abeilles ? Un limaçon se glisse dans leur rûche ; l'en chasser, disent-elle, cela n'est pas possible; l'y laisser il  nous infectera. Comment faire ? IL faut l'embaumer et le couvrir d'un mastic qui nous garantisse de tout inconvenient.

     Peut-on mieux raisonner ? Quelle physique dans ce chien, qui, pressé par la soif, et ne pouvant atteindre à de l'eau trop basse dans une cruche, la remplit de pierres, jusqu'à  ce que l'eau fût à sa portée. Tout s'est fait pour moi, dit l'homme : mais c'est peut-être ce que dit le canard dans la basse-cour. C'est pour moi que le soleil répand sa lumière, que la terre est féconde, et même que l'homme est formé.  

       " Voyez à me servir combien l'homme s'empresse ! Dit ce "vil" animal qu'avec soin l'on engraisse.

           Mais les hommes, direz-vous, forment de grandes entreprises, qui sont conçues avec habileté, conduites avec politique, soutenues avec constance, exercées avec adresse : et quoi de plus commun parmi les animaux ? D'une foule de traits que je pourrais citer, je n'en choisis qu'un, que le Cardinal de Polignac a embelli de toutes les couleurs de la Poésie dans son Anti-Lucrèce. Le plaisir que j'eus en le lisant, me détermina à en essayer la traduction en vers français. Je crois que je pourrait me les rappeler; et, quoi qu'inférieurs en tout aux originaux, je les citerai plus volontiers en faveur du maître :

     "  Un jour un gros Milan, grand chasseur, vrai corsaire, làs de faire la guerre aux timides oiseaux, Résolut, en bravant un plus digne adversaire, De s'illustrer par des exploits nouveaux. Il voit un aigle; il vole, il l'attaque, il l'agace, Tantôt à coups de bec,et tantôt par ses cris. D'un si faible rival, la téméraire audace Ne s'attire d'abord qu'un regard de mépris. Il revient à la charge, il arrache une plûme, l'emporte en triomphant, et tranche du vainqueur :

         Alors du roi des airs la colère s'allume; Il font sur le Milan, le saisit. Sa fureur veut la mort; mais il craint qu'un sang vil ne le souille. Que fait-il ? s'en railler est plus d'un Souverain De ses plûmes il le dépouille; Et nu sur un rocher le jette avec dédain. Honteux transi de froid, sans force, sans défense, Que deviendra l'infortuné Milan ? Mourir ? non, c'est faiblesse : il pense à la vengeance. 

          Quel vain projet ! N'importe; il en forme le plan. Le souvenir de la cruelle uinjure Fortifie un espoir si doux. De quelque vers qu'il trouve, il fait la nourriture, Et sent avec sa force augmenter son courroux. Des plûmes, seul le temps peut réparer la perte; Il les attend, et n'attend pas en vain. Peut-il voler ? Il vole....et fait la découverte D'un moyen qui pouvait le conduire à sa fin, Il voit de vieux débris, restes d'un pont antique Ruiné par les ans et miné par les eaux. Au milieu s'offre un trou, que l'oiseau politique Choisit pour se venger et tendre ses panneaux. Ruse ou force, qu'importe; il s'approche et mesure 

          Son corps à la grandeur du trou. Il remarque qu'il peut passer par l'ouverture. Il s'effraye, et d'abord passe en baissant le cou. Il sort, rentre, revient, passe encore; bagatelle. Il recommence, et réussit au mieux . Puis passe en voltigeant, et puis à tire d'aile : La passion le rend confiant industrieux. Sûr de son succès, il prend l'essor le plus rapide, Cherche, trouve, et bientôt affronte son vainqueur.

           Nouveau crime : indigné de son air intrépide, L'aigle va par son sang, punir la folle ardeur : Il prend son vol et part....Déjà d'un vol agile L'ingenieux Milan fend les plaines de l'air; Il fuit gagne son asile. L'Aigle craint qu'il n'échappe; et plus prompt qu'un éclair, Par le même chemin fend et se précipite: Il entre; mais serré dans ce passage étroit; En vain pour avancer ou sortir il s'excite : Il reste le captif. Le Milan reparaît; Dans son ardeur brille la joie, Pour goûter la vengeance, il la prend lentement; Il arrache à son tour les plûmes de sa proie ET se retire en l'insultant.

          La Comtesse parut fort contente de ces vers, et pria le Chevalier de lui en donner une copie. Il m'en a remis une que je transcris pour vous, sans croire cependant vous faire un grand cadeau. Or, dans cette entreprise, reprit Villemont, quelle variété de vues ! Quel enchaînement de réflexions ! Quel tissu de raisonnements !

          Je conviendrai cependant qu'on remarque des différences entre les hommes et les animaux, à l'avantage des premiers, mais n'en remarque t-on pas encore à leur désavantage ? De plus, ces différences ne viennent-elles pas uniquement de la diversité de leurs corps ? Pourquoi cette eau, qui forme ici cette belle cascade, va t-elle en tombant, tandis que cette autre, qui jaillit dans le bassin, monte et s'éleve ? 

      Sont-ce des eaux différentes ? Non, cela ne vient que de la différente configuration des canaux. Les corps des hommes sont plus parfaits, et leurs organes plus déliés; aussi les fonctions de leurs âmes ont-elles plus de liberté, et leurs ressorts plus de jeu. Ce même feu qui dans le bois mort est sans flamme, sans activité dans le bois humide, sans chaleur dans du liège ou des feuilles; transportez le dans un bois sec, comme il échauffe ! dans du sarment, comme il pétille! dans de l'esprit-de-vin, comme il s'enflamme ! dans de la poudre et du salpêtre, quel bruit! quel fracas! Cette comparaison ne marque-elle pas bien les différences de l'huître au brochet, du brochet au singe, du singe au villageois, du villageois grossier au brillant Académicien, et de celui-ci à l'impétueux Conquérant ?

      Je vais plus loin: Si la prééminence des hommes sur les bêtes est caractérisée par des traits bien vifs, c'est par ceux de la vertu. Or, n'appartient-il qu'aux hommes d'aimer la justice, de rechercher la gloire, d'être complaisants, généreux, reconnaissants ? Quel zèle pour la gloire dans cet éléphant, qui, placé d'abord à la tête des autres, et mis ensuite au dernier rang devint triste, malade, et mourut de chagrin ! Quelle connaissance de la justice dans cet autre à qui son gouverneur dérobait chaque jour la moitié de la nourriture qui lui était due ! Le maître vient : que fait l'éléphant ? Il partage, avec sa trompe, la mesure d'orge qu'on lui présente; par un regard de colère lancé sur le gouverneur, fait sentir au Maître, avec un frémissement d'indignation, le tort qu'on lui faisait (N'est-ce pas là crier  "au voleur au voleur ! ).

     Pour la compassion, la plupart des naturalistes rapportent que les cigognes, les aigles, les hérons prennent soin de leurs pères dans la vieillesse, qu'ils les réchauffent et les nourrissent. Quelle fidélité dans ces chiens, dans ces dauphins, qui, voyant leur maître sans vie, ont mieux aimé mourir à ses pieds, que de lui survivre !

      Quelle générosité dans cet éléphant, qui, voyant un de ses camarades dans une fosse profonde, en assemble plusieurs, et, par leur secours, jette dans l'abîme assez de branches et de pierres pour aider l'autre à s'en tirer ! Enfin, personne n'ignore, en fait de reconnaissance, un fait qui paraît bien avéré, celui d'un lion qui reconnut, dans un exclave chretien qu'on lui présentait à dévorer, un bienfaiteur, un ami, qui lui avait autrefois tiré une épine de la patte, et aux pieds duquel il se prosterna pour les lécher. De tels exemples, qui font admirer une âme dans les hommes, ne prouveront-ils rien dans les bêtes ?

       Pour moi, je l'avoue, où je remarque les traits de la raison, je suis tenté d'admettre le principe. La conformité de tel homme à tel autre paraît souvent moindre que de telle bête à tel homme. Pourquoi donc ne pas fonder la raison de leur différence sur la variété de leurs organes ? L'hypothèse du moins n'a rien d'absurde.

     Le Créateur n'a t-il pas pu joindre aussi facilement une intelligence au corps d'un cheval, qu'à celui de platon ? A la possibilité du systême se joint la présomption. Si ces apparences suffisent pour décider, c'est pour mon opinion qu'elles sont décisives. Me voilà donc en droit de conclure que si l'on doit donner le nom d'Ame à cet agent invisible qui met l'homme en mouvement, on peut aussi le donner à ce moteur secret qui anime les bêtes, et que les uns et les autres ont un égal droit au privilège de l'immortalité.

          Pendant que Villemont parlait, la comtesse marquait beaucoup d'attention, et le Marquis très-peu. Je prenais celle de la Comtesse pour un gage d'approbation qu'elle donnait d'avance. Point du tout. Après quelques éclats de rire : un moment, dit-elle, M. de Villemont; vous avez raté votre vocation : je ne crois pas que jamais personne, à la foire-st-germain, ait montré plus de talent pour amuser par un pompeux galimatias.

     Des principes de vie, des ruisseaux de vie, des écoulement de l'être infini, des germes féconds, soufflés dans les êtres, des semences de vie dans le sanctuaire de la Nature !..... Où donc s'il vous plaît, avez vous pris une philosophie aussi lumineuse ? A tout cela vous ajoutez des histoires forts amusantes, mais au moins apocryphes, des comparaisons ingénieuses, mais qui ne prouvent rien. Il me paraît que vous avez bien de l'obligation à M. le Président. A moi, Madame ? Lui dis-je sur le champ;  c'est plutôt à M. le Chevalier que vous en avez beacoup : s'il a si bien plaidé la cause de Badine, c'est sans doute pour faire la cour à la Maîtresse.

          La Comtesse : -" c'est fort mal me la faire, Monsieur, que de chercher tant de ressemblance entre ma chienne et moi : je m'estime trop, et ma chienne trop peu, pour être flattée de la conformité, ou même pour ne pas être blessée de la comparaison". Madame, je n'ai pas prétendu la faire, reprit Villemont : au reste, ce n'est pas le personnage de courtisan qu'il s'agit de faire ici, mais celui de Philosophe; et je ne crois pas Montagne méprisable pour avoir douté, quand il badinait avec sa chatte, si c'était lui qui se de jouait de sa chatte, ou sa chatte de lui.

          Pour moi, Monsieur, répliqua la Comtesse, je ne posusse pas si loin l'indulgence. Un pareil doute, s'il était serieux, me donnerait de Montagne une très mauvaise idée. Comment mettre l'Homme et la Bête dans la même balance, et la trouver en équilibre ? C'est, ce me semble réfuter une telle opinion que de l'exposer.

          Quelquefois, Madame, reprit Villemont, la prétention nous séduit. Il n'est pas de plus grand ennemi de la raison que le préjugé, ni de plus sûr guide de la vérité que le raisonnement. Oui, Monsieur, répliqua la Comtesse d'un air un peu piqué. Mais faut-il tant raisonner pour réfuter votre système ? Ai-je besoin, pour cela, de recourir aux sublimités d'une métaphysique arbitraire ? Non : ces mystères me passent, et je m'en tiens au témoignage de mes sens. Voici ce que j'ai vu.

      M. le Président était ici l'année dernière. Il prit un ver de terre, long d'environ un demi-pied; après l'avoir coupé en deux, il mit la partie de la tête dans un vase plein de terre, où elle s'enfonça et vécut vingt-un jour; et dans un autre vase le coté de la queue, qui resta exposée à l'air saine et vive durant quatre-vingt-douze jours, et ne mourut encore qu'après une maladie de huit jours.C'est un fait, Madame, lui dis-je, dont-on ne peut douter. He bien, monsieur le Chevalier, reprit-elle, dites-moi, je vous prie, dans laquelle de ces deux parties placez-vous l'âme de ce ver ?  

      Vous balancez. Eh ! que répondriez-vous donc à mille autres expèriences dont on m'a parlé, et qu'ont faites MM. de Beaumont et du Tremblay ? Ils ont coupé des polypes en douze tronçons, dont chacun était vivant, et devenait un polype parfait : direz-vous que chacun recevait un douzième de l'âme commune au tout ? En ce cas , les âmes des bêtes ne sont donc pas, comme les nôtres, indivisibles ? Direz-vous que la première âme reste à l'une des parties, et que Dieu en crée onze pour les autres ? Mais quel garant m'en donnerez-vous ? Sa puissance, Madame lui dit villemont : , Monsieur, reprit la Comtesse, ce n'est pas le moyen de convaincre, que de ne raisonner jamais que sur des peu-être.

       La puissance divine, c'est de tous les ressorts le premier j'en conviens, pour le succès dans l'exécution; mais c'est le dernier ce me semble, à mettre en mouvement dans la philosophie; et je ne vois pas que pour rendre compte des mouvements d'un insecte, on soit forcé de lui donner une âme libre, immortelle semblable à celle des hommes. Pourquoi multiplier à l'infini des créations qui sont inutiles ? De plus une âme telle que la nôtre, dans un moucheron, me paraîtrait figurer assez mal. Elle connaîtrait donc le bien et le mal, le vice et la vertu ? Et pourrait-on, sans injustice, l'exclure d'une éternelle vie ou l'y admettre sans répugnance ?

      Votre système, Monsieur, ne gagnerait pas beaucoup à être approffondi.Chaque nouvelle réflexion y découvre un nouvel inconvénient. Comme la Comtesse me paraissait ne pas ménager Villemont, et que celui-ci n'était occupé que de la difficulté, j'essayais de faire diversion par une ironie que j'adressais à la comtesse.

      Madame, lui dis-je, vous avez bien raison : l'opinion de M. le chevalier n'est pas soutenable. Non, Madame les animaux n'ont point d'âme; ils ne raisonnent pas plus que mon corps qui n'est assurément qu'une machine. Cette chienne, que vous voyez sur les genoux de Madame, n'est qu'un automate insensible, qui n'a ni raison, ni connaissance, ni réflexion. Elle a des yeux mais sans voir; elle a des oreilles, mais sans entendre, elle se meut au moindre signe de sa maîtresse, sans  discernement, elle en éxécute les ordres sans les connaître; elle caresse sans aimer; elle fuit le bâton sans le craindre, on peut la frapper, mais sans lui faire aucune douleur, elle gémirait sans souffrir, elle suit sa Maîtresse, et n'a de fidélité que les apparences.

          Cette raillerie produisit tout l'effet que j'en attendais, le dépit de la Comtesse paraissait dans ses yeux. Je le vois bien, M. le Président, dit-elle, c'est pure malice dans vous, mais je n'en serai pas la dupe. Comment, Madame, lui dis-je, vous n'êtes pas de mon avis ? Quoi donc , si l'on soutient que les bêtes ont des âmes, vous vous retirez ! Si l'on soutient que les bêtes n'en ont pas, nouvelles plaintes ! C'est cependant l'un ou l'autre. Ni l'un ni l'autre, Monsieur, reprit-elle : ce sont deux opininons qui révoltent également, l'une, en érigeant les bêtes en créatures raisonnables, et l'autre en en faisant de pures machines.

       Mais, Madame que prétendez-vous donc en faire ? Moi ! je ne sais, dit-elle d'un air embarassé. Ne pourrait-on pas trouver un milieu ? Pourquoi ne pas admettre dans les bêtes un agent caché,  qui ne serait ni corps ni esprit, une espèce d'âme sensible, sans être intelligente, qui pourrait connaître, mais non pas raisonner, qui n'aurait ni l'étendue de la matière, ni l'immortalité des âmes ? Mais qui pourrait ....Que sais-je si Dieu ne peut pas faire quelques substances qui ne soit ni esprit ni machine ?

     Cette idée de la Comtesse réveilla le Marquis, tout absorté jusqu'alors dans ses réflexions. Il parût sortir d'une profonde rêverie ? Et sur le point de prendre la parôle; mais, sans lui en donner le temps : Madame, dis-je à la Comtesse, votre idée ouvre devant nous une nouvelle carrière dans laquelle j'entrerai volontiers. Il me semble que le premier coup-d'oeil y découvre des avantages qu'il serait facile de développer; et si M. le Marquis veut m'en permettre l'essai, je me flatte qu'il n'en désaprouvera pas l'execution. Le marquis m'ayant témoigné, d'un air obligeant, qu'il m'écouterait avec plaisir : - "Il me paraît dis-je alors, qu'un des caractères de la puissance de Dieu doit se tirer de la variété de ses ouvrages. Cette variété, dans le monde matériel va jusqu'à l'infini. Les éléments ne sont que de la matière; mais quelle différence entre l'air, la terre, le feu et l'eau! Quelle différence entre les plantes et les minéraux, entre les corps des Bêtes, les visages des hommes, les sons de leurs voix....Se serait se perdre dans l'infini, que de vouloir embrasser toutes les combinaisons dont la matière est suscéptible. Elle peut sous les doigts du Créateur, recevoir dans ses parties une infinité d'arrangements : il semble même que la Toute-puissance ait épuisé cet infini. De ce monde matèriel et sensible, transportons-nous à présent dans le monde des intelligences. Pourquoi n'y pas admettre une variété poussée de même jusqu'à l'infini ? Ne peut-il pas y avoir entre les Esprits des classes différentes et aussi multipliées que peuvent être les combinaisons des lettres de l'alphabet ? La religion même ne semble t-elle pas favoriser cette idée ? Ne place t-elle pas autour du trône de Dieu, d'abord les Esprits sublimes qui participent le plus à la Divinité; au dessous , d'autres Esprits, d'un ordre inférieur, qui différent encore entre eux, Et ceux enfin qui sont dans la plus grande distance de cette lumière inaccessible qu'habite les Très-Haut, quoiqu'infiniment éloignés des premières Intelligences, le sont cependant encore infiniment de la matière ?

          Dans cette multitude d'intelligences le souverain Maître en a destiné un grand nombre pour vivre dégagées de la matière, et d'autres pour lui être unies. Les premières, qui n'en ont que plus d'activité, et qui nous sont fort inconnues, sont peut-être préposées par le grand Roi pour gouverner ces vastes sphères qui roulent sur nos têtes; et celles-là sans doute sont immortelles. Mais si du haut de ces sphères, nous descendons sur le petit globe que nous habitons, nous y trouvons que les intelligences des dernières classes y sont semées avec profusion, mais toutes unies si étroitement à des corps, que le point d'union est invisible. Leur dépendance des sens les matérialise en quelque sorte, et la différence de leurs opérations.

      Or, pour suivre l'ouverture que Madame nous a donnée, pourquoi ne pas admettre dans les Bêtes (animaux) une de ces intelligences du dernier ordre, substance sans partie, et qui serait le principe de leurs mouvements, âme sensitive, mais mortelle, qui connaîtrait sans pouvoir raisonner, capable d'agir, mais non de délibérer, ou qui même, selon la délicatesse ou la grossièreté des organes, pourrait recevoir des connaissances plus ou moins développées, et paraîtrait agir avec plus ou moins de choix ?

     A ce principe permettez-moi d'ajouter une supposition qui ne servira qu'à éclaircir, Je suppose qu'il n'y ait qu'un seul homme sur la terre. Cet homme ne voit dans l'Univers que de la matière, et  dans la matière que l'étendue de ses parties et leurs divers arrangements, il sent bien qu'elle peut recevoir du mouvement, mais qu'elle est incapable de s'en donner. Il marche, et en marchant il remarque que son corps est mu par un principe secret qui l'anime. En vain cherche t-il de pénétrer jusqu'à ce principe ; plusieurs objets qui se présentent pour la première fois à ses yeux, donnent lieu à diverses réflexions. D'abord il apperçoit une troupe de cerfs; il s'avance, et les poursuit. Ces timides animaux prennent la fuite et disparaissent. Eh! dit-il, voilà de la matière dans un grand mouvement ! il y a sans doute dans elle un principe moteur qui la détermine à s'éloigner de moi. Plus loin, nouveau sufjet d'étonnement. Cet homme voit des chiens, mais qui viennent à lui, qui le caressent avec leurs queues, et le flattent en le léchant. Ces corps, dit-il, sont différents des premiers, mais le prinvipe qui les pousse et les agite pourrait être de même nature. Bientôt nouveau spectacle. Il voit des singes, et leur jette quelques pierres; ces singes en jettent à leur tout. Notre solitaire vient à bout d'en tuer un nil s'approche : Voilà, dit-il, un corps qui était en mouvement, et qui n'y est plus ! Ses organes sont dérangés : mais qu'est devenu le pricipe qui lui communiquait son mouvement ? Il cesse d'agir sur lui ; ne cesserait-il pas d'exister ? En revenant là-dessus, il continue son chemin, et découvre d'autres objets plus dignes de son attention. Il apperçoit à sa droite un enfant qui pleure, à sa gauche un jeune homme qui extravague; plus loin, un vieillard qui radote .....Comme j'allais continuer ce raisonnement : "Oh pour le coup sur la question des Bêtes, à vous regarder avec surprise, sans avoir éclairci leur état plus qu'auparavant ? Vous, M. le Chevalier, vous voulez donner aux Bêtes des âmes immortelles, comme celles des hommes; vous, madame, vous n'admettez dans elles que des connaissances sans réflexions, et des sentiments sans liberté : pour moi, j'admire votre simplicité. Je la comparerais volontiers à celle de ces bons Suisses, qui voyant, pour la première fois, danser des marionnettes, assuraient que quelque esprit invisible était caché dans ces machines pour les faire mouvoir, et même en taxaient l'invention de sortilège. Comme nous le regardions avec surprise : Oui ajouta t-il, telle est mon idée.

       Le spectacle que nous donnent les animaux n'est autre qu'un spectacle de marionnettes, et tout ce qu'on fait dans la mécanique avec les leviers, les poulies, les balancier, les soupapes, etc. Je le dis hardiment, Madame, tout cela se passe dans votre Badine, par le moyen des os, des nerfs, des muscles, des tendons, des valvules, etc. Ce que Le président me disait tout à l'heure me paraît de tous les systêmes le plus vraissemblable.

     C'était- là, comme vous le voyez mon cher Mentor, lever l'étendard du Cartésianisme. La réponse de la Comtesse et la mienne étaient toutes prêtres, lorsque Villemont voulut en donner une, qui, en parlant aux yeux, fît plus d'impression. Il se lève, prend la chienne de la Comtesse, et l'ayant mise au milieu de la salle, la tête tournée de son côté : M. le Marquis, dit-il, appelons la l'un et l'autre, et que Madame seulement lui fasse un signe......Voyez, la voilà déjà partie.

 Ah Madame, dit-il in raillant, vous cachez apparemment dans votre main le ressort qui fait tourner et courir cette machine vers vous : Que Madame, ajouta t-il , prenne sa canne et sa coiffe, vous verrez Badine sauter de joie, et de la joie passer à la tristesse, si sa Maîtresse lui ordonne de rester : en un mot, toutes les marques de sentiment et d'intelligence que l'homme peut donner, cette chienne les donne; il ne lui manque que la parole, et vous voulez nous persuader, Monsieur, que ce n'est qu'un automate insensible?

     Cher Chevalier, lui dit le marquis, souffrez que je vous rappelle une excellente maxime que vous avez plus d'une fois avancée; c'est que la bonne Philosophie doit nous tenir en garde contre la voix des préjugés et le témoignage des sens.

      Vous souvient-il d'une partie que nous fîmes, il y a quelques années, avec Madame, lorsque nous fûmes à l'hôtel de Longueville voir l'admirable machine de M. de Vaucanson ? Madame avait-elle son "Nègre" nouvellement débarqué. Lorsque le flutteur automate vint à jouer ces airs de rossignols et d'échos si difficiles, nous ne pûmes nous empêcher de témoigner de l'admiration. Scipion seul se moquait de notre simplicité, assurant qu'il y avait un homme caché qui jouait. Il le chercha, sans le trouver, et prétendit qu'il était dans le corps de la machine, il fallut l'ouvrir, pour le désabuser.

      Voilà ce qui se passe ici. J'admire plus que vous les opérations des Bêtes; vous vous moquez, dîtes-vous ? Elles ont des âmes, qui, cachées dans leur sein, règlent tous leurs mouvement : point du tout, vous dis-je, elles n'en ont pas; ce sont de pures machines. Séduit par les apparences, vous vous obstinez à ne juger que sur leurs impressions. Il faut donc, pour vous tirer d'erreur, ouvrir le corps de la machine. Mais comme il n'a pas été nécessaire pour que scipion reconnût sa méprise, qu'on lui expliquât l'action de tous les soufflets, les variations du vent dans les tuyaux les divers jeux du cylindre, les effets des balanciers, tous les mouvements des roues; de même vous n'exigez pas sans doute que j'entre dans le détail de tous les instruments dont la Nature fait usage pour ménager dans les Bêtes les diverses opérations dont nous sommes témoins. Si je les explique sans recourir à des âmes, et que je réponde à toutes les difficultés qu'on peut faire là-dessus, sans qu'on puisse répondre à celles que je proposerai contre les autres systêmes.....Assurément, dit la Comtesse, on ne peut pas exiger davantage. Mais, cher oncle quelle différence entre le flûtteur automate et un chien ! Oui Madame, reprit le marquis; mais quelle différence entre leurs ouvriers ! Et si les instruments des hommes sont des ouvrages dignes de notre admiration, aura t-on de la peine à croire que celui qui a donné l'existence à la matière, en puisse former une machine dont les mouvements pour nous sont incompréhensibles ? Mais le sont-ils en effet ? Et sans vouloir pénétrer , pour ainsi dire, dans le laboratoire du Créateur, ne trouvons-nous pas dans nos corps la solution de presque tous les problêmes que fournissent les animaux ? Quelques principes sont ici nécessaires : commençons par les établir, je crois qu'on ne me les contestera pas.

           PREMIER PRINCIPE : Quoique nous soyons composés d'un corps et d'une âme, cependant le corps seul fait dans nous un nombre prodigieux de mouvements, auxquels l'âme ne prend aucune part. Qu'on tire subitement un coup de pistolet, tout notre corps frissonne. Qu'un ami passe rapidement sa main devant nos yeux, nous les fermons. Que notre pied vienne à  glisser, ou nous nous balançons pour ne pas tomber, ou, si nous tombons, nos mains se présentent les premières, nôtre tête se retire; et tout ce que l'équilibre peut ôter de violence à notre chûte, nous l'employons. tous ces mouvements dans nous ne viennent que de la machine: la réflexion, loin de les opérer, souvent les retarde ou les dérange. Ainsi, l'action de l'âme n'est point nfécessaire à la plupart des opérations du corps.

          SECOND PRINCIPE :  Outre ces mouvements extèrieurs et sensibles, il s'en passe d'autres dans le corps, dont l'âme, loin d'en être la cause, n'a seulement pas connaissance ; le cours du sang dans les veines, et des esprits dans les nerfs, les battements dans le coeur, la digestion dans l'estomac, etc.; mais les plus remarquables, et sans doute les moins connus, se passent dans le cerveau.

     Oui le cerveau est un prodige de mécanisme : la délicatesse de l'organistaion y signale en quelque sorte l'industrie du Créateur. Son grand art consiste en ce qu'il a su ménager dans cette partie une foule d'impressions qui s'y varient et s'y modifient à l'infini; de telle sorte, que ces variations si multipliées en occasionnent d'autres étonnantes dans les différentes pièces de la machine. Comment arrive t-il que nos membres se plient et s'étendent, se prêtent ou se refroidissent, avancent ou reculent; que la pâleur paraisse sur nos visages, le feu dans nos yeux, les ris sur nos joues, etc. ?

     Tous ces mouvements exterieurs, qui sont purement naturels, sont produits par des mouvements cachés, mais purement matériels. Ce sont les esprits animaux qui, mis en mouvement, ou par des rayons de lumières, ou par des corpuscules échappés des corps environnants, se portent au cerveau, et de là, par une rétroaction rapide, ou dans les muscles qui se gonflent, ou dans les nerfs  qui se bandent, ou dans le sang qui s'arrête ou se précipite, mettent en branle un nombre prodigieux de fibres, dont l'action produit les divers mouvements de nos corps, dont nous ne sommes de froids admirateurs, que parce que nous les voyons tous les jours. Mais dans tout cela je ne vois qu'un mouvement progressif de corpuscules, qu'un vrai jeu de ressorts, qu'un spectacle de marionnettes; jusqu'ici point de réflexions, point d'intelligence, point d'âme. Passons au troisième principe.

     TROISIEME PRINCIPE : La mémoire, l'imagination, les passions, ne sont pas comme l'intelligence, indépendantes de la matière : l'exercice de leurs fonctions est bien dans l'âme; mais l'occasion de leur exercice est dans le corps. La sagesse du Créateur a placé dans le cerveau une substance tout à la fois assez molle pour recevoir aisément des traces, et assez ferme pour les conserver long-temps. Les esprits forment ces traces. S'ils sont souvent mus par les mêmes objets, souvent les mêmes traces seront formées. Si llur émotion est violente, leurs traces seront profondes : dans tout cela, rien que de mécanique. Mais si le Créateur juge à propos de joindre une âme à cette machine, et veuille qu'à l'occasion de telles traces dans le cerveau, telle impression affecte l'âme, alors les différentes affections de l'âme dépendront, ou de la variété des objets environnant la machine, ou du cours plus ou moins impétueux des esprits, source des différentes modifications du cerveau. Un exemple ici ne sera pas inutile.

          Un enfant répète long-temps sa leçon : un Prêtre dit tous les jours son bréviaire; qu'y a t-il dans eux de purement mécanique ? D'abord les mêmes rayons de lumière ont communiqué les mêmes degrés de mouvement aux esprits animaux. Ces esprits se sont ouverts souvent les mêmes passages. Par l'ébranlement fréquent des mêmes fibres, ils ont profondément tracé certaines images. A l'impression de ces images, les lois du Créateurs ont attachées certaines pèrceptions dans l'âme du prêtre ou de l'enfant. C'est dans leur âme que va se peindre la vive empreinte des caractères; et la régularité des traces dans le cerveau contribue à l'exactitude de la perception dans l'âme, comme de leur confusion il ne résulte dans l'âme qu'un assemblage confus d'affections.

     Mais quoique de cette éspèce d'harmonie dans l'organe dépendent les perceptions de l'âme, il ne faut pas croire que son action soit nécessaire pour la continuation du mouvement dans la cmachine. Indépendamment de l'âme, le retour des esprits animaux, et leur distribution, se fera dans les membres par les mêmes canaux. Même mouvement dans les poumons, dans la trachée artère, sur les fibres des lèvres, dans les muscles de la langue; même vibration dans l'air; même inflexion dans la voix : aussi voit-on le Prêtre et l'enfant, sans aucune attention de la part de leur âme continuer l'un son bréviaire et l'autre sa leçon : bien plus, leur mémoire sera d'autant plus sûre, que l'âme s'en mêlera moins. La première réflexion peut les dérouter, Un nouvel objet, donnant une détermination nouvelle aux esprits, les dérange dans   leur cours, suspend les mouvement dans la machine, ou bien en produit de différents.

          Il est aisé de concevoir par là, que la mémoire dans les animaux n'est qu'un jeu de mécanisme. Au fond de leurs oreilles est tendue une membrane d'un tissu délicat, où répondent certains nerfs qui aboutissent au cerveau. Que l'air soit agité par un grand bruit, il entre dans l'oreille; la membrane est poussée, les nerfs sont ébranlés, et les esprits portés dans le cerveau qui reçoit des impressions.

      Que le bruit soit répété, les traces y seront plus profondes. Mais si le Créateur a placé les tuyaux de communication du cerveau dans le gosier, et du tympan de l'oreille dans les muscles de la langue; alors l'ébranlement de l'air reçu cans le nerf auditif, et communiqué aux fibres du cerveau, doit se continuer par mille petits rameaux dans toutes les parties propres à former la voix.

     Ainsi je suppose pour un moment que l'âme de Scipion soit anéantie, et que Dieu conservât son corps avec les mêmes organes, les solides dans le même état, et les liquides dans le même mouvement et le même équilibre; si l'on frappait souvent son oreille de ces mots, "bonjour", "bonjour", "mon mignon", "mon mignon", comme il arrive madame à votre perroquet; telle est la mémoire des animaux.

     L'application de ce principe est facile à l'égard de l'imagination et des passions. Je tombe dans une forêt entre les mains de quatre voleurs, qui me portent plusieurs coups : quel ébranlement violent dans ma machine! quelle abondance d'esprits se porte en tumulte au cerveau! aussi quel trouble confus dans l'âme qui reste dans l'inaction ! mais le mouvement de la machine ne laisse pas de continuer. Si la rapidité des esprits est excessive, les fonctions, des organes s'embrassent, je tombe en défaillance.

      Est-elle modérée ? la distribution des esprits dans les membres est prompte, les muscles se gonflent, les nerfs se raidissent, les yeux s'enflamment, je résiste. L'action des agresseurs permet-elle d'échapper ? les ressorts de la machine sont tellement disposés, que les esprits se précipitent par mille passages dans les cuisses et les jambes; je deviens plus léger, je cours et disparaît. L'âme pour tous ces mouvements est inutile : cela ne se passe que dans mon corps, et se passe de même dans celui d'un sanglier attaqué par quatre chasseurs. 

     Deux jours après je repasse dans le même endroit; quatre voyageurs viennent à ma rencontre : même émotion dans mes organes, même impétuosité dans les esprits; et la révolutions dans la machine serait la même, si la force d'une réflexion ne venait ralentir le choc des esprits, en faisant diversion à leurs mouvements. Mais la réflexion manque au sanglier; aussi le retour des mêmes circonstances occasionne le même jeu dans les ressorts de sa machine, il fuit ou se défend.

          Il fuit ! s'écria Villemont. Souffrez, Monsieur, que je vous interrompe ; mais plutôt par tel chemin que par trois autres qui se présentent. Il se défend ! Mais si c'est une masse aveugle, pourquoi s'élance t-il plutôt contre un Piqueur que contre un arbre ? Ce cerf fatigué, pourquoi sait-il avec adresse en substituer un autre à sa place, et met-il par là les chiens en défaut ?

     Pourquoi ce cheval, qui court à bride abbatue, s'arrête t-il tout d'un coup devant un abîme ? Le mouvement des esprits, si violent dans sa machine, ne doit-il pas continuer ? Et le voîlà suspendu. Ces deux loups qui s'entendent si bien, l'un pour amuser le Berger et le chien d'un côté, tandis que de l'autre son confrère se jette dans le troupeau; assurément, si ces deux loups ne sont que des automates, Descartes, et Malbranche courent grand risque de n'être rien de plus à mes yeux. Et cette perdrix qui s'expose pour sauver sa famille; et ces abeilles qui s'entre-aident; et ces fourmis......

          Cher Chevalier, lui dit le Marquis, il est inutile de multiplier en exemples les preuves d'intelligence que paraissent donner les Bêtes ; j'avais prévu votre difficulté. Vous m'avez prévenu lorsque j'allais y répondre, en établissant encore deux principes qui peuvent servir de clef pour l'explication de tous les phénomènes. 

          "Quatrième principe" : Le Créateur ne peut agir que sagement. Or, dans le plan que sa sagesse a conçu de nos corps et de ceux des animaux, il n'entrait pas seulement de leur donner une existence de quelques moments, mais de les faire subsister un certain temps. 

          Il a fallu, pour cet effet, en les organisant, ménager entre eux et les autres êtres, des rappports et des différence; des rapports qui contribuassent, en les rapprochant, à leur conservation, et des différences qui les garantissent de leur destruction en les écartant. 

          Ce sont-là, si vous voulez, des qualités occultes, mais qui ne sont pas chimériques : tout l'Univers en prouve la réalité. Pourquoi les eaux descendent-elles des montages sans y remonter et que les astres roulent autour de la terre sans y descendre ? Pourquoi le lierre cherche t-il l'appui du chêne, et la vigne celui de l'ormeau ? Pourquoi le mercure s'unit-il plutôt à l'or que le bois, et que le bois comme l'aimant ne se tourne pas vers le pôle ? Mettrez-vous des âmes dans chacun de ces corps, pour en régler les déterminations ? Non sans doute; mais le Créateur, pour lier toutes les parties du monde et les conserver leur a partagées des propriétés secrètes qui les unissent ou les séparent selon leurs besoins. 

           La vie de l'Univers dépend u mouvement. Son harmonie demande dans ce mouvement, des proportions qui se multiplient à l'ingini, qarce qu'elles se mesurent sur les besoins des êtres qui sont infiniment variés. 

          C'est  à l'étude de nous-mêmes qu'il faut à présent nous rappeler. La disposistion des ressorts, qui font en divers sens mouvoir nos machines, est si bien entendue, que, toutes les opérations de l'âme suspendue, leur jeu ne continuera que conformément à nos besoins. Un homme se lève la nuit en dormant; il marche, il court : hé bien ! son corps fera natrurellement tous les balancements nécessaires pour se garantir de la chûte; en sorte qu'il marchera plus sûrement sur le haut d'un toit, au bord d'un précipice, qu'il ne ferait étant éveillé.  

     Pourquoi ? ce ne sont  que des sages lois établies par le créateur pour notre conservation, qu'on en peut tirer la raison; et son industrie dans la structure délicate de nos organes, va même jusqu'à donner à la matière un air de liberté, et un privilège apparent de choisir, à nos membres. Je sais bien que le libre arbitre n'est que dans l'âme, et qu'une loi suppose la connaissance de deux objets qu'on a comparés; mais se porter vers un corps plutôt que vers un autre, ce que j'appelerai du moins l'expression de la liberté, est un effet dans nous purement machinal.

     Le libre arbitre est enchaîné dans un fou; il l'est dans un petit enfant. Cependant qu'on présente au premier s'il a faim, un pain et une pierre; sa main se porte tout d'un coup sur le pain. Que l'autre puisse monter sur une table pour prendre un raisin, il prend une chaise, la traîne, et s'en sert comme d'un degré pour monter. D'où peut venir, dans l'un et dans l'autre, cette justesse de mouvements, nécessaire pour leur opértions ? Ils n'ont ni liberté ni discernement, de l'aveu de tout le monde; et cependant ils paraissent choisir et raisonner. Il faut, pour expliquer ceci, recourir au cinquième et dernier principe, qui peut éclaircir cette question et dissiper tous les nuages.

          Tout l'Univers est en mouvement la matière subtile est dans le monde ce que sont les esprits animaux dans nos corps; elle pénètre tout : tout circule, tout végète , tout travaille. Quelle est je vous prie, la cause de ce mouvement ? Sont-ce les corps qui, par la matière, ont la vertu de se presser les uns les autres ? C'est au vulgaire qu'il faut laisser un tel préjugé. Nous savons que la matière peut bien recevoir du mouvement, mais qu'elle est incapable d'en donner. Sont-ce des esprits ? On concevrait plutôt, ce me semble, une distance infinie entre le corps et l'esprit, qu'une action immédiate de l'esprit sur le corps. Mouvoir un corps, c'est créer un mouvement.

     On ne peut donner l'existence sans donner le mouvement ou le repos, ni donner le repos ou le mouvement sans donner l'existence dans un de ces deux états; et faire passer de l'un à l'autre, c'est donner successivement l'existence dans l'un et l'autre. Or le droit de créer est inaliènable dans le Créateur ; le droit de mouvoir est donc en lui incommunicable; et cette idée s'accorde parfaitement avec celle de l'immensité divine. Dieu peut-être présent à tout sans opérer, ou son opération peut-elle être sans efficacité ? Esprit et corps, tout est dans sa main : c'est donc de la main que part tout mouvement. Âme universelle du monde, il en meut  les moindres parties; et ne fallût-il remuer qu'un atome, toutes les intelligences crées pour cela sont impuissantes; il faut recourir à la force du Créateur.  

           Ce principe une fois admis, l'ordre de l'univers n'est plus une énigme. Où tout est conduit par une intelligence infinie, tout doit porter un caractère d'intelligence. Ainsi, que les satellites de Jupiter observent autour de cette planète une marche régulière; qu'une aiguille aimantée se tourne toujours vers le Nord; que le suc de la terre s'insinue par les fibres des racines pour porter de la nourriture jusque dans la tige des fleurs; que les eaux de l'Océan s'avancent ou reculent dans des temps marqués : tous ces mouvements sont admirables; mais doivent-ils surprendre ? ils sont l'effet d'une souveraine raison.

      Un enfant à la mamelle, qui suce le lait  et s'en nourrit; un noctambule, qui monte et descend un escalier sans le voir et sans se blesser; un fou, qui pare avec adresse les coups qu'on lui porte, sont tous trois des mouvements siguliers qu'on ne peut attribuer à leur âmes, qui sont privées, dans l'enfance, le sommeil et la folie, de connaissance, de réflexion et de liberté. Quelle en est donc la cause, sinon celui qui veille à leur conservation, et met en jeu, pour la procurer, les ressorts dont il les a pourvus ? Et dans nous-mêmes, que la raison éclaire, il est vrai que notre âme éxécute une éspèce d'empire sur notre corps ; mais ne nous y trompons pas, cet empire n'est pas immédiat, c'est le Créateur qui, placé, pour ainsi dire, entre le corps et l'âme, manie tellement ces deux substances, qu'à l'occasion des impressions que reçoit l'une, il opère des volontés de l'âme , il produit des mouvement dans le corps.

     Et si la réflexion absorbe en quelque sorte toutes les facultés de l'âme, le créateur se charge seul de la conduite de notre machine : de là cette justesse dans nos mouvements, et cette adresse merveilleuse dans tout ce que nous faisons sans y penser ; en sorte que si nos âmes étaient anéanties, nos machines, sous la main du Créateur, s'il voulait les conserver, pourraient présenter les mêmes miracles que nous admirons : un danseur de corde garderait les mêmes équilibre, Blavet jouerait aussi bien de la flûte, et Mondonville du violon.

          Rapprochons à présent ces principes; mais avant d'en faire l'application aux Bêtes, ne pourrait-on pas révoquer en doute, avec raison, plusieurs des opérations qu'on lui attribue ? Ce trait du chat-huant de La Fontaine, n'est-ce pas un conte fait à plaisir ? N'en est-il pas de même de l'Histoire prétendue du Milan et de l'Aigle, que M. de Villemont nous a si bien traduite de l'Anti-Lucrèce ? Ce n'est pas le Philosophe, sans doute, dans M. de Polignac, c'est le poête, qui, pour embellir son Ouvrage, a fait usage d'un pareil trait. 

     Quels garants pourrait-on me donner de tant d'autres merveilles qu'on tire d'Auteurs forts suspects ? Aelien est trop crédule; Pline le Naturaliste est un menteur, et Montagne un badin, qui ne prétend que s'amuser. Mais quand je ne pourrais m'inscrire en faux contre leurs Recueils, je crois une âme fort inutile pour expliquer les plus étonnantes de ces opérations.

          La Comtesse voyant le Marquis sur le point d'entrer dans quelques détails, voyons si j'ai bien saisi votre idée. je commence à croire que sans aucune éspèce d'âme, ou pourrait expliquer ce que les animaux font de plus merveilleux; et cela, par le moyen de votre systême, dont je vais tâcher de mettre sous un seul point de vue toutes les parties. 

          Les animaux, dites-vous, ne sont que des machines, mais formées avec une industrie admirable, et dans une prodigieuse variété. Ces machines sont tellement montées, que les impressions qu'elles reçoivent du dehors, ne remuent leurs ressorts au dedans que pour leur donner la situation la plus convenable à leurs conservation.

      Les différents besoins de ces machines occasionnent leurs divers mouvements; et ces mouvements sont produits par une action particulière du Créateur, qui cependant s'est restreint à ne faire usage pour les conserver, que de l'orgarnisation dont ils les a pourvues : cette organisation a été travaillé sur différents plans. Cette différence vient, ou de celle des éléments dans lesquels ces machines doivent être mues, ou de celles des opérations auxquelles elles sont déstinées.

     Ainsi, qu'une araignée terrestre tombe dans l'eau, l'effet de son organisation se borne au mouvement de ses pattes qui souvent ne suffit pas pour la sauver; au lieu que cette araignée aquatique, dont on a fait depuis peu la découverte, est pourvue d'instruments propres à lui former, au milieu de l'eau, une espèce de cloche dans laquelle elle s'enveloppe d'air pour respirer..... Je ne sais si je m'écarte de l'idée du cher oncle : Point du tout, Madame, lui dit le marquis; mais vous oubliez l'essentiel....

      J'entends, reprit la Comtesse; je vais y venir : ces machines donc, car vous le voyez, cette idée de machines cesse de trop me révolter, n'ont ni mémoire, ni imagination, ni passion, ni liberté; mais tout le mécanisme qu'exigent dans nous la liberté pour choisir, les passions pour se produire au dehors, l'imagination et la mémoire pour conserver les traces des images; tout ce mécanisme est tellement ménagé dans le cerveau des bêtes, que si Dieu venait à produire dans leurs machines par lui-même, ce qu'il ne fait dans nos corps qu'à l'occasion des affections de nos âmes, on remarquerait dans elles les mêmes mouvements extérieurs que dans nous. Qu'une abeille et un Artisan aient chacun une ouverture à former; l'image du trou est exactement tracée dans le cerveau de l'un et de l'autre. Dieu conduit les mains de l'homme et les pattes de l'insecte. Mais à l'image de l'ouverture, empreinte dans son cerveau, l'Artisan joint la volonté de la boucher : cette volonté manque à l'abeille, et Dieu la supplée. En quoi donc sommes-nous différents des animaux ? En quoi leurs ressemblons-nous ? Ce qui nous avons de commun avec eux par l'imagination et la mémoire, c'est l'impression remçue dans le cerveau; mais cette impression dans nous va jusqu'à y occasionner des sensations : voilà la différence. Les passions, dans les Bêtes, se bornent au mouvement violent des esprits, et vont dans nous jusqu'à y occasionner des sensations : voilà la différence. Les passions, dans les Bêtes, se bornent au mouvement violent des esprits, et vont dans nous jusqu'au sentiment. L'organe qui sert d'instrument à la liberté, est mis en jeu dans elle comme dans nous; mais c'est le Créateur, dans les Bêtes; qui choisit, au lieu que le choix dans nous est l'effet d'une connaissance réelle des objets que vous avons comparés. J'entends tout cela : mais, cher oncle, pourquoi tant de différences entre les animaux de la même espèce ? l'organisation est la même.

          Oui, Madame, lui dit le Marquis, mais la délicatesse de l'organe ne l'est pas. Elle est plus grande dans les uns ; aussi leurs mouvemnts sout plus prompts; ils paraissent montrer plus d'esprit. Elle est moindre dans les autres; aussi leurs opérations sont plus lentes; il marquent de la stupidité : de plus, la différence de leur éducation en met une grande dans leurs mouvements.

          Pourquoi Badine, au premier signe que vous lui faîtes, Madame, se dresse t-elle sur ses pieds de derrière, présente t-elle la patte, et danse t-elle avec grâce, et qu'une autre chienne de la même espèce ne le fait pas ? cela ne peut venir que des fréquentes déterminations que l'on a données dans l'une de ces machines aux esprits animaux qui forment les muscles et tendent les nerfs destinés pour les mouvements, tandis que dans l'autre les esprits suivent leurs cours naturels par les passages ordinaires.

          Oui, je conçois cela, cher oncle, reprit la Comtesse; mais, dans une fourmillière et dans une rûche, l'éducation est la même; mêmes organes ; cependant quelle variété dans les opérations des abeille et des fourmis! Et malgré cette variété, quelle harmonie dans leurs mouvements ! Quelle symétrie dans leurs ouvrages! J'admire ces petits animaux. Comment ! on reconnaît des âmes dans ces vilains Sauvages de la Loponie, et on refuse d'en admettre...... Le Marquis ne lui donna le temps d'achever. Oh ! Madame, dit-il, si vous donnez des âmes aux abeilles, il faut donc leur en donner de plus parfaites que les nôtres. Une rûche alors est une école de talents et de vertus. Prudence, industrie, économie, tempérance, propreté, amour du travail, amour de son semblable, amour du bien plublic, sagesse dans les lois, grand ordre de police, esprit de société, patience, émulation constance......

    Il n'est point de vertus qu'on n'ait lieu d'admirer dans les abeilles : mais n'est-ce pas les leur ôter toutes, que de vouloir les leur toutes accorder ? Plus on insiste sur leur éloge, et plus on sent la nécessité de recourir à l'action immédiate du Souverain moteur, dont l'intelligence règle les moindres opérations des fourmis et des abeilles, comme les plus grandes révolutions des Cieux. Ce qui donne quelque éloignement pour ce systême, c'est la crainte apparement, ou de dégrader le Créateur par la petitesse de ces détails, ou de l'embarasser par leur nombre. Mais est-ce connaître Dieu, que de supposer en lui, ou un avertissement pour ce qui relève au contraire sa grandeur, ou un embarras qui ne pourrait venir que d'impuissance ?

     Ce préjugé une fois écarté, quoi de plus simple que de dire que les abeilles ont des organes propres à leurs besoins; et que les proportions sont immédiatement ménagées par celui qui seul en a la connaissance ? Voilà le dénouement à toutes les difficultés. De tous les traits de sagacité qu'on peut alléguer, un des plus embarrassant est celui de ces deux loups dont l'un paraît tendre un piège au chien et au berger, tandis que l'autre s'élance sur le troupeau. Je m'arrête à celui-ci d'autant plus volontiers, qu'un assemblage de mouvements plus compliqués occasionnera plus d'étendue dans leur explication. 

          Il faut d'abord écarter de ce fait, si c'en est, tout dessein, toute réflexion, et ne pas supposer par le récit même, ce qui précisément est en question. Les seuls mouvemnt extérieurs nous sont connus; ce n'est donc que sur eux qu'il s'agit de juger . Un berger, un chien, des agneaux, et deux loups; voilà les objets qu'il s'agit de se mettre devant les yeux. Le mécanisme dans tous ces corps est merveilleux, et n'est bien connu, que de son auteur.

     Les termes d'antipathie, de sympathie et d'instinct, ne présentent pas à l'esprit des idées assez nettes  pour être employées; mais ausi faut-il avouer que, pami les secrets que la Nature tient couverts d'un voile impénétrable, il faut mettre les causes de certaines unions ou séparations de corps dont l'on est témoin, sans en pouvoir  tirer d'explication que des trésors de la Toute-puissance.

      Au reste, si l'art des hommes a été, comme on le sait, jusquà former avec du carton, du bois et du fer, des serpents qui sifflaient, des lézars qui montaient et descendaient, des têtes qui parlaient, des statues de Bergers et de bergeres qui faisaient un concert d'instruments et battaient la mesure avec le pied, comme on le voit encore aujourd'hui; doit-on être si surpris, quand on entend dire que le tout-puissant a mis dans les organes des loups et des agneaux, des fibres assez délicates pour être promptement ébranlées par les corpuscules qu'ils s'envoient les uns aux autres; et que l'ébranlement de ces fibres  peut déterminer ces machines, les unes à s'avancer contre les autres, et celles-ci à s'éloigner des premières ?

      Rien donc d'incompréhensible dans la marche des deux loups vers les agneaux, ni dans la fuite de ceux-ci; mais les agneaux, en fuyant, ou par leurs bêlements, agitent l'air, dont les ondulations jointes aux corpuscules échappées des loups, mettent en branle une autre machine dont le jeu est admirable. Le chien paraît. Pourquoi ce nouvel automate est-il précipité vers la droite où sont les loups, plutôt que vers la gauche ou courrent les agneaux ? C'est que, dans le plan de son organisation, le créateur avait fait entrer, que de telle circonstance résulterait telle impression sur les esprits du chien; que l'action de ces esprits porterait sur tels muscles et tels nerfs; et que, de l'ébranlement de ces nerfs et de ces muscles, s'ensuivraient, et les aboiements qu'on entend, et les évolutions singulières dont on est témoin. Mais pourquoi cet interêt que le chien prend pour les agneaux ?

      Il n'en prend pas; et, pour en être convaincu, il suffit de savoir combien il en coute au Berger pour dresser un chien à la garde d'un troupeau, et l'on verra que tout ce que le chien paraît faire en faveur des agneaux, n'est qu'un effet des ressorts qu'on a fait mouvoir mille et mille fois, afin que la force de l'habitude les fît jouer de cette manière dans l'occasion.

          Aux approches du chien, les loups se séparent. Pourquoi, direz-vous, les deux ne fuient-ils pas ensemble, ou ne fondent-ils pas ensemble sur la même proie ? Mais pourquoi prêter à l'aveugle, à l'un, un dessein concerté d'amuser le chien, pour donner à son confrère la facilité de faire son coup ? La diversité de leurs opérations ne peut-elle pas venir des diverses impressions qu'ils reçoivent ?

      Dans l'un de ces loups, le cours des esprits est suspendu à l'occcasion des aboiements du chien, qui, portant par le nerf auditif une nouvelle multitude d'esprits dans son cerveau, précipitent leurs cours par les tuyaux de la machine, propres à produire dans elle, d'abord un demi-son, et bientôt une prompte fuite. Rien de plus simple. Le chien poursuit ce premier loup. Mais je serais aussi surpris de le voir reculer, que de voir une aiguille aimantée se tourner vers le Midi.

     Selon les loix mécaniques établies par le Créateur, l'action des corpuscules du loup sur les esprits du chien, de ces esprits sur son cerveau, de là sur les nerfs, et des nerfs sur toute la machine, doit l'emporter sur les pas du loup avec d'autant plus de promptitude et de fidélité, que cette action devient plus forte à proportion de son progès sur les mêmes traces. Mais l'autre loup suit sa première détermination : il doit la suivre. Plus éloigné du chien, il a dû en être moins ébranlé. L'ébranlement reçu diminue à mesure que le chien s'éloigne, et ne peut par conséquent balancer l'impulsion reçue des agneaux, qui se fortifie à mesure qu'il en approche.

     Quoi, tenant sa proie, ne s'arrête t-il pas pour la dévorer ? Le voici : le cours des esprits qui le portaient vers l''agneau, cesse, il est vrai, par la contrariété de ceux qui se hâtent vers l'estomac ; mais les traces imprimées dans son cerveau par les cris et les mouvements du chien ne sont pas effacées. De là, cette nouvelle effusion d'esprits qui transportent sa machine loin de tout ce qui peut nuire à sa conservation.

       Mais pourquoi tant d'opérations différentes se passent-elles avec cette justesse de mouvements et dans les moments précis qui conviennent ? Ah ! je l'avouerai, l'industrie de tant de manoeuvres étonnantes est le fruit d'une intelligence infinie, qui seule est capable d'embrasser tant de millions de combinaisons, dont le nombre épouvante notre imagination, mais dont l'effet n'est qu'un jeu pour le Créateur.

          Selon cette suite d'idées, je ne vois dans les agneaux, les loups et le chien, que des mouvements d'automates, qui sont mus d'une manière convenable, mais sans sentir la convenance de leurs mouvements. A présent s'offre un vouveau spectacle. Le Berger s'éveille : ses yeux s'ouvrent ; ses membres sont agiteés; il se lève. Dans tout cela, rien encore que de mécanique. Mais il voit le désordre dans son troupeau, et veut y remédier. Cette volonté n'est pas dans son corps. Il apperçoit le loup qui fuit, chargé d'un agneau. Cette sensation n'appartient pas à la matière. Il délibère : prendrai-je ma houlette ? Non, je ne serais pas à temps. Il s'arme d'un fusil ; et fit qu'en débandant un certain ressort, il fera partir un plomb rapide, qui, selon la direction qu'il donnera à son coup, ira percer la tête du loup ; il le tue. Le loup est tué. Il sent le besoin qu'il a de son chien ; il fait entendre un sifflet : le chien accourt ; son troupeau se rassemble. il compte ses brebis, se félicite de les retrouver toutes ; il est bien sûr de n'être pas trompé dans son calcul : à la vue du loup qu'il a tué, il se livre à la joie, sentiment vif, dont aucune partie de son corps n'est susceptible : il porte en triomphe dans son village sa proie, et se flatte d'une récompense. Dans tout ce détail, qui est-ce qui ne remarque pas une foule de réflexions, de sentiments, de raisonnements, de connaissances, qui prouvent dans ce Berger, outre l'existence de son corps, celle d'une substance spirituelle, qui sert de proportion, éprouve des désirs, combine des mouvements, choisit des moyens et connaît leur rapport avec la fin qu'il se propose ?

         Ne trouvez-vous pas comme moi, mon cher Mentor, de l'adresse dans le Marquis, à présenter de sorte une suite d'images pour ménager dans leurs progrés une plus forte impression ? Sans me laisser éblouir par un tel artifice, Monsieur, lui dis-je, trouvez-vous bon que je vous rappelle une de vos maximes ? Les seuls mouvements extérieurs, diriez-vous, nous sont connus ; cette règle, qui doit être suivie à l'égard des loups, ne doit-elle pas l'être à l'égard du Berger ? Pourquoi lui prêter à l'aveugle des intentions ? Il me paraît que vos principes ne vont pas seulement à priver d'âme les Bêtes, mais les hommes ; des organes bien disposés, des occasions marquées par les besoins, des habitudes reçues par l'occasion, une action continuelle du Créateur sur nos machines ; avec cela, Monsieur, et sans le secours d'une âme, on peut expliquer les opératiosn des hommes. La parole, qui les distingue des bêtes, est un signe très équivoque de pensées : cela entre , puis-je dire comme vous, dans le plan de leur organisation. Pourquoi donc faire intervenir une intelligence sublaterne où tout est réellement conduit par la suprême intelligence ?

          Je regardais cette difficulté comme embarrassante, même pour le marquis, lorsque la Comtesse, impatiente d'y répondre : Monsieur, me dit-elle, est ce sérieusement que vous prétendez faire le parallèle de l'Homme avec la Bête ? Comment ! la parole est la seule différence que vous apperceviez entre l'un et l'autre ? Que les muets seraient à plaindre, si votre jugement était sans appel ! Et si malheureusement une paralysie venait à tomber sur toutes nos langues, et que celles des ânes vinssent à se délier, comme celle de l'ânesse de Balaam, ce serait donc à nous à baisser pavillon devant eux ? Ah ! du moins à la parole vous devriez bien joindre l'écriture, cet art si merveilleux, dont les Bêtes, je pense, n'ont encore fait aucun usage.

          Volontier, Madame, lui dis-je : mais écrire et parler sont des opérations qu'on peut expliquer dans les hommes, sans l'entremise d'une âme ; le souverain Moteur, pour parler le langage de M. votre oncle, les produit. Il n'est pas plus difficile au Créateur de remuer nos langues et nos doigts pour former des sons et tracer des lignes, que de régler la manoeuvre d'un chat, qui, pour prendre une souris, s'avance, s'arrête, se tapit, recule, s'élance, et fait mille mouvements singuliers. Avec l'heureux expédient de M. le Marquis, je suis en droit de douter si les hommes ont des âmes : les paroles qu'ils prononcent, et les lettres qu'ils écrivent, sont les ouvrages d'une intelligence, mais d'une intelligence infinie. En prononçant ces derniers mots, je jetai les yeux sur le Marquis.

          J'entends, me dit-il, voilà votre objection dans tout son jour : j'en sens toute la force, et je remarque dans les yeux de M. de Villemont le plaisir qu'il goûte d'avance de me voir sans réponse. Je conviens, Monsieur, que la Métaphysique ne m'en fournit pas ; vous le voyez, j'y vais de bonne foi : mais trouvez bon que je vous demande la même franchise, et jugez si les raisonnements que je vais faire pour détruire le vôtre, ne sont pas sans réplique.  

          Depuis une heure que nous parlons ici, n'avons-nous fait que prononcer des mots vides de sens, et frappez l'air par des sons ? notre conversation ne consiste t-elle que dans les mouvements du poumon et de la trachée artère ? que dans une impulsion de l'air, qui diversement modifié, ébranle le tympan de nos oreilles, et par des coups dont les contre-coups vont retentir dans le cerveau ? Ne sommes-nous ici que comme des perroquets ou des echos, qui n'articulent des mots ou ne rendent des voix qu'en conséquence de certains ébranlements reçus et rendus mécaniquement ?

       Non, Madame, bien loin de répéter, nous sommes en contradiction, et parlons tous quatre différemment. Madame a dit que les Bêtes ont des âmes sensitives ; Monsieur, qu'elles en ont de raisonnables, comme les nôtres : vous, Monsieur, que les nôtres sont mortelles comme celles des Bêtes : pour moi, j'ai soutenu qu'elles n'en ont point du tout. Pourquoi cette différence de langage ? Ne vient-elle pas de la différence de nos pensées ? Les miennes me sont connues : puis-je douter de la réalité des vôtres, puisqu'il m'est évident qu'elles sont différentes ? Or, le principe pensant dans moi, n'est pas le souverain moteur ; il ne peut pas l'être dans vous : s'il l'était, vous seriez d'accord. Dieu ne saurait se combattre lui-même : ainsi, Monsieur, la parole, que vous regardez comme un signe équivoque de vos pensées, m'en paraît une démonstration . Parler, ce n'est pas remuer la langue et les lèvres ; c'est se communiquer réciproquement ces pensées par ces canaux matériels établis par le Créateur pour le commerce des esprits unis à des corps. Nous nous parlons, quand, par des gestes, par l'écriture, ou d'autres signes, nous mettons les pensées de nos esprits dans ceux des autres. 

          Comme j'allais l'interrompre : permettez, Monsieur, continua t-il ; vous allez m'objecter que peut-être les Bêtes parlent entre elles et s'entendent ; mais peut-être, Monsieur, ne s'entendent-elles pas : et ne me suffit-il pas, pour ruiner ce prétendu commerce de pensées  dans les animaux, d'expliquer sans ce moyen de toutes leurs opérations, celles qui paraissent le plus l'exiger ? C'est ce qui m'est facile avec les principes établis. Il n'en est pas de même des hommes. Le peut-être à leur égard ne saurait avoir lieu. Ne regarderiez-vous pas comme un trait d'extravagance de dire que peut-être les hommes pensent qu'ils parlent et s'entendent peut-être ? notre seule conversation là-dessus, si suivie et si variée tout à la fois, ne suffit-elle pas pour confondre la plus étrange opiniâtreté ?

          De plus, si les animaux entre eux ont un langage pour se faire part de leur pensées, comment arrive -il quqe depuis six mille ans qu'ils parlent et raisonnent, il n'aient encore rien inventé, ni fait la moindre découverte, ni profité d'un seul événement pour se perfectionner ? Avec la force prodigieuse qu'ont les uns et les autres, comment n'ont-ils pu forger de nouvelles armes pour se défendre, ni convenir d'un signal pour se rallier, ni joindre enfin les secours de l'art à ceux de la nature ?

          L'art est le fruit de la réflexion. je conviens qu'une toile d'araignée est un tissu admirable ; qu'un nid d'hirondelle est un chef-d'oeuvre d'architecture, que les palais des rois, en fait de proportion, n'approchent pas du coquillage d'un limaçon. Mais ce limaçon est-il l'architecte ou l'instrument ? L'adresse est-elle dans l'araignée, et l'intelligence dans l'hirondelle ? La perfection même de l'ouvrage ne défend-elle pas d'en faire honneur aux insectes qui les travaillent ?

      Eh ! de quoi, je  vous prie, servirait aux abeilles de s'entendre, puisque les rayons qu'elles ont fait ou feront jusqu'à la fin du monde ne diffèreront jamais en rien les uns des autres ? Une grande uniformité dans les mouvements marque, ce me semble, dans les corps mus, une grande justesse de mécanisme ; et une parfaite uniformité marque t-elle autre chose qu'une perfection de la machine ?

          Peu content de cette derniere réflexion : Monsieur, lui dis-je, cette uniformité ne va pas si loin que vous le dîtes ; je vois au contraire parmi les Bêtes, des opérations presque aussi variées que parmi les hommes. J'ai laissé mon gant dans le jardin : que je fasse un signe à mon chien, il courra dans le parc, et ne reviendra qu'avec mon gant ; que je lui présente mon pied, il ira me chercher mes pantoufles. Votre chien, qui cependant est de la même espèce fera t-il la même chose ?

          Non, Monsieur, me répliqua le Marquis ; mais que je fasse un signe à cette pendule, en tirant ce cordon, elle m'apprendra qu'il est cinq heures. Celle qui est dans votre chambre, et qui n'est pas montée, m'apprendra t-elle la même chose ? Pourquoi ces tilleuls dans cette allée font-ils beaucoup d'ombre, et très-peu dans l'autre ? c'est qu'ici l'on a plié les branches pour former un berceau, et là, qu'on les a taillés en éventails ou en tête d'orangers. le fer sous le marteau, et la cire dans mes doigts, peuvent prendre différentes formes; il en est de même des Bêtes : ce sont des instruments travaillés avec un art infini, que le Créateur nous met entre les mains, pour que nous en tirions les usages qui nous conviennent.

      Nous aiguisons le fer pour couper, et nous dressons les chiens pour la chasse ou la garde de nos maisons ; et toutes ces merveilles qu'on leur attribue ne prouvent d'intelligence que dans ceux qui les ont dressés, et prouveraient plûtôt que ce Bêtes en manquent . Que votre chien n'ait appris à rapporter qu'un gant, si vous perdez votre bourse, vous aurez beau lui faire des signes, il ne la rapportera jamais.

      Demandez-lui vos bottes, en vain lui montrerez-vous votre pied, il n'ira jamais chercher que vos pantoufles : aussi remarque t-on dans les mouvements de sa machine, non pas l'obéissance d'un agent intelligent à des ordres qu'il conçoit, mais une aveugle impétuosité qui le précipite dans le jardin, qui porte le plus délicat de ses organes sur touts les corps qu'il flaire, qui lui fait saisir l'objet que vous avez fait voir, sentir et mordre mille fois, en mettant ses esprits dans une grande agitation, et qui le reconduit enfin vers le morceau de pain que vous aviez coutume de lui donner.

         Quelle différence entre telles opérations, et celles des hommes pour la variété ! Ce seul volume que je vous sur la table de Madame (ce sont, dit-il en l'ouvrant, les Fables de la Fontaine), ne le prouve t-il pas ? A ne considérer que le matériel du livre, que de réflexoins n'a t-il pas fallu  faire pour le conduire au point de perfection  où vous le voyez ? Ce papier, qui est si beau, par quelle étonnante métamorphose a t-on su le tirer de vils lambeaux ramassés au hasard ? Ces caractères, comment les a t-on formés ? Quelle invention que celle d'une presse ! Ces vignettes qui couronnent chaque page, par quel art a t-on pu les tracer avec tant d'ordre ?

     Ces figures en taille-douce, qui représentent tous les animaux, par quel secret magique aujourd'hui vient-on à bout de parler en quelque sorte aux yeux avec de l'encre et du papier ? Que serait-ce donc si, du matériel du livre je passais au grand sens qu'il contient ? Je l'ouvre, et je trouve à chaque page des vérités, qui, cachées avec art sous le voile ingénieux de l'allégorie, m'instruisent en m'amusant ; ces vérités que je reçois dans mon intelligence, une machine, fût-elle un chef-d'oeuvre d'industrie, peut-elle en être la source ? Le progrès dans la perfection suppose n'écessairement un progrès dans les réflexions.

      Comment Aristote, à cinquante ans, était-il si différent dans ses Ouvrages de ce qu'il l'était à quinze, s'il n'a jamais été qu'un automate , Et ne serait-il pas moins absurde d'attribuer la formation de l'Univers au concours des atomes, qu'au jeu de quelques ressorts la découverte du carré de l'hypothénuse ?

     Mais cette vérité, qui règne dans les ouvrages des hommes, ne prouve pas seulement qu'ils sont marqués au coin de l'intelligence, mais encore qu'à la réflexion qu'ils ont de plus que les Bêtes, ils ajoutent encore la liberté, nouveau trait distinctif qui caractérise leur prééminence.

          La liberté n'est que dans la volonté. Se sentir maître de vouloir ou de ne pas vouloir, d'agir ou de ne pas agir, de suspendre son action ou de la continuer, c'est être libre. Cet empire que les hommes ont réellement sur eux-mêmes, les animaux en ont-ils autre chose que les apparences ? Les uns et les autres ont bien les organes nécessaires pour le mécanisme des passions ; mais le pouvoir d'arrêter  les mouvements de la machine est-il également dans eux ? 

     Un cheval qui galope est arrêté subitement devant un fossé : un chien qui cherche son Maître, de trois chemins qu'il rencontre, prend celui qui convient ; mais est-ce avec connaissance que l'un s'arrête, et par choix que l'autre se décide ? Sommes-nous forcés, par l'évidence, de le croire ? Ne peut-il pas se faire que celui qui a constuit le corps du cheval, ait prévu toutes les circonstances dans lesquelles il pouvait se trouver, l'ait pourvu de tous les ressorts propres à le conserver, et fasse résulter de l'écart des rayons de lumière devant un précipice, l'ouverture de certains canaux dans le cerveau du cheval, et la tension subite des muscles capables de l'arrêter ? Si cela se peut, pourquoi ne pas le dire ? Et n'exclut-on pas en le disant, toute liberté ?

          Toutes les opérations des animaux peuvent être expliquées par ce moyen ; celles des hommes peuvent-elles l'être ? Vouloir, délibérer, choisir et maîtriser à son gré sa volonté, ses vues et son choix,dans ce partage chaque homme ? ne reconnaît-il pas le sien ? Ne possède t-il pas, jusque dans les fers, le trésor de la liberté ? Entreprendre de prouver que l'homme est libre, n'est-ce pas en fournir une preuve ? Et le refus de l'entreprendre n'en est-il pas une seconde ?

          Cet attribut de l'homme brille même dans ses désordres. Ses égarements sont un abus de sa liberté. Cet abus en démontre la réalité. Les digues qu'on oppose à cet abus, font voir la connaissance qu'on en a. Pourquoi des roues, des potences, des chevalets pour détourner les hommes du crime ? Mais les menaces des plus grands supplices ne sont-elles pas frivoles, si c'est une impérieuse nécessité qui rend les hommes criminels ?

          Il est vrai qu'on frappe un chien pour l'empêcher de salir une chambre, et l'on réussit ; un regard, un mot suffisent ensuite pour l'en écarter. Mais est-ce volontairement qu'il s'écarte ? Est-il maître de rester ? Les coups qu'il a reçus la première fois étaient accompagnés d'un certain ton de voix, de plusieurs gestes et de plusieurs rayons de lumière qui réfléchissaient des corps voisins. Du concours de toutes ces actions sur son cerveau, a résulté, par le moyen des esprits, un grand mouvement dans les muscles des cuisses et dans les nerfs des jambes.

          Le lendemain, point de coups, mais mêmes gestes, même voix, même rayon lumineux : l'ébranlement dans le cerveau sera mondre, mais la détermination de la machine pour la course n'en sera pas moins sûre, et le surlendemain, la seule impression des rayons suffit encore pour l'écarter moins promptement, la violence de l'impulsion étant diminuée, mais aussi certainement, les loix du mouvement étant invariables.

          Et ne croyez pas, M. le président, ajouta le Marquis, que ce systême, en affaiblissant à nos yeux l'esprit des bêtes, qu'il réduit  à de simples machines, diminue aussi l'idée du Créateur ; il l'agrandit au contraire, et l'étend. Quoi de plus admirable en effet que de voir le Tout-puissant se jouer dans les prodiges sans nombre qu'il opère en remuant autour de nous des millions d'automates, qui n'étant tous que matière, c'est à dire, longueur, largeur et profondeur, ne diffèrent que par la masse ou le degré de mouvement et cependant le Créateur a trouvé dans les trésors de sa puissance le secret de prêter à des machines un air pasionné, et d'organiser la poussière avec tant d'art, qu'elle paraît délibérer, sentir, réfléchir et raisonner.

          Ce dernier trait d'imagination fournit au Chevalier une nouvelle difficulté. Moins attentif aux raisonnements du Marquis qu'à l'occasion de le surprendre en défaut : Monsieur, dit-il, il vient de vous échapper un mot qui vous trahit et me donne un beau jeu pour entamer votre systême. Les Bêtes, de votre aveu, paraissent raisonner. Hé bien, sur quoi voulez-vous que nous établissions nos jugements, si ce n'est pas sur les apparences ? Est-ce pour nous tromper que Dieu nous les présente ? il en est incapable, vous en conviendrez : cependant, n'est-ce pas à lui qu'il faut attribuer nos erreurs, si les signes de sentiment et de raison qu'il nous offre dans les animaux sont sans réalité ?

          J'admirais le sang-froid du Marquis. De combien d'erreurs, cher Chevalier, dit-il, nous allons rendre la divinité responsable, si toutes celles que les apparences occasionnent dans nous, lui doivent être imputées ! Ainsi, quand nous jugeons que les couleurs sont adhérentes aux corps ; que la Terre est en repos, etc... c'est donc Dieu qui nous trompe, puisque toutes les apparences qu'il nous présente sont favorables à ces jugements ? Mais, qui nous force de les porter ? Pourquoi ne pas les suspendre? ou du moins ne pas s'en défier ? On doit distinguer les vérités éternelles, des connaissances arbitraires ; une loi immuable, pour Dieu même, d'une institution purement liblre de sa part.

      Ainsi, Dieu nous tromperait sans doute, s'il nous portait à croire que  2 et 2 font 5 ; que la partie est plus grande que le tout dont elle est partie : il répandrait d'un coté des nuages sur une évidence qu'il nous communique de l'autre. Mais, dans les merveilles de la Nature, nous voyons des effets, sans en voir les causes. Elles sont arbitraires ; Dieu nous les cache. En les cachant, bien loin de nous porter à des jugements faux ne pouvait-il pas nous défendre d'en juger ? De simples conjectures, c'est tout ce qu'il nous permet ; les plus vraisemblables doivent être préférées : or, ce n'est point aux sens, mais à la raison de décider de leur vraissemblance.

          A la bonne heure, cher oncle, dit la Comtesse, c'est à la raison : mais quoi ! n'accorderez-vous rien au sentiment. Pour moi, je souffre quand je vois souffrir. Un enfant crie, cela m'attendrit. N'est-ce pas le Créateur qui produit en moi ce sentiment de compassion qui m'interesse pour cet enfant, et me fait juger qu'il a du sentiment ? Qu'on frappe ma chienne, ses cris me touchent : n'est-ce pas en conséquence des loix du Créateur, qui veut m'interesser pour elle, et me faire juger, par ma sensibilité qu'elle en a ? Si les signes de douleur sont équivoques dans les Bêtes, ils le sont dans dans les Hommes. Le créateur nous jette donc dans de grandes méprises ; et la voix de la Nature n'est plus qu'une voix trompeuse dont il faut sans cesse se défier ? La Comtesse, en achevant ces mots d'un air touchant : Pauvre petite ! dit-elle en baisant sa chienne, si tu n'as point de sentiment, pourquoi ne saurais-je m'empêcher d'en avoir pour toi ?

          Cet impromptu de tendresse nous fit rire Villement et moi, mais d'un ris d'approbation, qui commençait à flatter la Comtesse, lorsque le Marquis, en Philosophe sévère, avec un sourire ironique.......Amour ! Amour ! quand tu nous tiens, s'écria t-il, on peut bien dire : Adieu prudence ! Adieu la Philosophie, Madame, si nous ne lui donnons pour guide que notre coeur ! Votre réflexion, Madame, me donne lieu d'en faire une moins touchante que la vôtre, mais, si je ne me trompe, plus juste et meiux fondée.

          On ne croirait pas jusqu'où va, par rapport à nous, l'ordre établi dans la Nature. Le Créateur en a rendu l'harmonie analogue en quelque sorte à nos corps. Tout ce qui dérange cet ordre nous blesse, et fait sur nous plus ou moins d'impression, selon que nos rapports avec les corps dérangés sont plus ou moins grands. Vous avez fait abattre, Madame, cette belle avenue qui conduisait à votre château. Ces arbres, comme de grands cadavres sans vie, sont couchés sur la terre. On ne peut les voir en passant, sans éprouver une certaine émotion qui chagrine.

     Au bout de cette allée est une statue d'Appollon. Elle est parfaite ; on ne la voit jamais qu'avec plaisir : qu'on en abatte le nez, on ne pourrait la voir sans peine. Ce beau tableau du Palais Royal, qui représente Milon pris par les bras dans l'ouverture d'un chêne à demi-fendu, et dévoré par des loups, on ne peut le regarder sans souffrir : pourquoi ? c'est que, de deux baffes montées à l'unisson, qu'on en touche une, l'autre, quoi qu'éloignée retentit, et rend les mêmes sons. Nos corps sont des instruments qui suivent, pour se monter, la variété des impressions qu'on leur donne.

     A la vue de ce malheureux Athlète qui bande touts les ressorts de sa machine pour se tirer d'un si cruel état, les ressorts de la nôtre se montent en conséquence de certaines loix établies pour nôtre conservation, dont le Créateur s'est réservé le secret : nos fibres dans le cerveau sont ébranlées par l'impétuosité des esprits qui s'y portent, en sorte que la présence réelle de deux loups qui nous poursuivraient, sans rien changer aux mouvements de notre machine, ne seraient que leur ajouter de nouveaux degrés de violence.

     Mais remarquez, je vous prie, que la vue de cet inforuné, qui n'est qu'en peinture, fait plus d'impression sur nous, que tous les signes de douleur que peuvent donner des moucherons, des vers, des papilons, des serpents, quoiqu'animés, selon vous, par une âme sensitive. D'où cela vient-il ? du rapport sans doute infiniment plus grand entre nos organes et ceux d'un homme, quoique peint, qu'il n'est entre nos corps et ceux de ces insectes ou reptiles, que nous écrasons sans pitié. 

     Aussi, qu'on choisisse parmi les Bêtes celles sont l'organisation correspond plus parfaitement à la nôtre, alors notre sensibilité augmente à proportion de la fidélité de cette correspondance. Otez le rapport, plus de pitié. Mais si nos sentiments de compassion pour certains animaux qui paraissent souffrir, prouvaient qu'ils ont des âmes, notre indifférence ou notre joie en voyant périr tant d'autre, prouverait donc qu'ils n'en ont pas. De là, quelle confusion dans votre systême! 

          Mais direz-vous, Dieu nous trompe donc, si les mêmes signes de douleur, qui ne sont pas équivoques dans les hommes, le sont dans les bêtes. Ils le sont aussi dans les hommes, Madame, continua le Marquis ; tel Mendiant qui ne souffre point, si, par quelque secret, il se sait un teint pâle et livide, et qu'il jette des cris perçans, n'occasionne t-il pas une certaine impression dans nos coeurs ? C'est le Créateur qui la porte dans nous ; cependant nous trompe t-il, quand il nous affecte ainsi conséquemment à la fourberie des Hommes ? Non, parce que les signes de douleur qu'il donne sont soumis à l'examen de notre raison. Et ne le sont-ils pas dans les Bêtes ?

          J'avouerai cependant qu'une des vûes du Créateur dans les sentiments de compassion qu'il produit en nous en faveur des Bêtes, est sans doute de nous intéresser pour la conservation de ces petites machines ; et le moyen le plus simple pour cela, n'était-il pas de nous affecter bien ou mal, selon leurs situations, comme le plus sûr pour nous faire remédier aux accidents qui surviennent à nos corps, et de nous faire sentir de la douleur dans la partie affligée ? A t-on une atteinte de goutte ? on juge aussi-tôt que la douleur est dans le pied ; jugement naturel dit le P. Malebranche, mais soumis à la raison.

      Il ne devient faux que quand la raison le ratifie ; mais c'est à la réflexion de le rectifier. La douleur paraît dans le pied, mais elle n'en est pas une manière d'être ; et comme on ne raisonnerait pas juste en le concluant du sentiment dont Dieu nous affecte, de même, conclure de la compassion occasionnée dans nous par les cris des animaux, que leurs souffrances sont réelles, c'est déférer aveuglément au témoignage des sens, mais non pas raisonner conséquemment.

          Le marquis alors s'étant arrêté, comme pour attendre quelque réplique, la Comtesse reprit assez vivement la parole : Oh ! cher oncle, dit-elle, je commence à m'aguerrir, puisque l'Auteur de la Nature est aussi l'Auteur des sentiments que j'ai pour ma chienne.

          L'intérêt que je prends à ce qui la regarde, est donc dans  l'ordre : ainsi, machine ou non, je l'aimerai toujours ; cependant, je l'avouerai, je vois avec peine qu'elle ne saurait m'aimer. Quel inconvénient trouvez-vous à lui donner au moins quelque faible sentiment ? Vous avez répondu, j'en conviens, à nos difficultés contre vos machines ; mais ne pourrait-on pas répondre aux vôtres contre un systême si naturel ?

          Quand on y répondrait, Madame, lui  répartit le Marquis, tout ce qu'on pourrait se permettre, serait au plus de tenir la balance incertaine entre nos opinions, et d'en abandonner le choix au hasard ; et la mienne en ce cas doit être regardée du même oeil que les autres. Mais, à cette foule de raisonnements qui lui servent d'appui, elle joint l'avantage de fournir, contre l'opinion contraire, des difficultés insurmontables. Trois ou quatre suffiront.

          La première, c'est à vous, Madame, que je la dois : elle est restée jusqu'ici sans réponse ; c'est celle que vous avez tirée de l'exemple de ces vers et polypes qui ont multiplié en autant d'animaux vivants et parfaits, qu'on en a fait de portions différentes. Les partisans des âmes sensitives doivent être de fort mauvaise humeur contre MM. de Beaumont et du Tremblay à qui l'on doit ces découvertes. Passons à la seconde difficulté.

          Je n'admets que ce que je conçois ; et je ne conçois que deux éspèces d'êtres : esprit, et corps. Ces deux idées s'excluent mutuellement. Celle du corps ne peut s'allier avec le sentiment et la réflexion, qui n'appartiennent qu'à l'esprit, ni celle de l'esprit avec l'étendue, qui n'appartient qu'au corps. Vouloir former un troisième être qui participe des deux autres, qui ne soit que matière et qui ait des senssations, distinct du corps et mortel, susceptible de connaissance et incapable de réflexion ; c'est s'égarer dans des idées neuves, et bâtir des systêmes sur des chimères. Raisonner, c'est profiter d'une vérité connue pour passer à la découverte d'une autre.

     Les partisans de l'âme sensitive sont précisément le contraire. Ils partent d'un principe inconnu, et ne font, en en multipliant les conséquences, que multiplier leurs erreurs. En vain se retranchent-ils dans des possibilités fondées sur la Toute-puissance ; des peut-être ne me feront jamais renoncer à ce grand principe, qu'on ne doit rien nier, ni rien affirmer sur une chose dont on n'a pas une idée claire et distincte. Esprit et corps sont les seules substances dont l'idée, dans moi, soit claire et distincte. L'âme sensitive n'est ni pur esprit, puisqu'elle est matérielle, ni vrai corps, puisqu'elle a des sentiments. Je ne puis donc que chanceler dans les raisonnements que je hasarderais en l'admettant. Troisième difficulté.

          L'âme des Bêtes sent la douleur ; elle est donc malheureuse. Malheureuse ! elle est donc coupable. Comment concilier l'idée d'une Justice qui ne punit que le crime, avec les souffrances des animaux qui n'en ont pas commis ? Et dans ce cas, l'empire que nous exerçons sur eux n'est-il pas une vraie tyrannie ?

     Comment avons-nous la cruauté de les tourmenter, si nous sommes convaincus que nous les faisons souffrir ? A cette difficulté tirée de la Morale, et qu'on peut porter bien loin, j'en dois ajouter une que founit la philosophie.

          Les partisans de l'âme sensitive ne lui donnent ni raisonnements, ni réflexion, ni liberté. Les voilà donc aux prises avec tous les adversaires de mon systême.

          Comment expliqueront-ils tant d'opérations d'animaux qui paraissent délibérer, réfléchir et raisonner ? Ils seront forcés de recourir aux besoins de la machine, à la disposition des organes, à l'action du Créateur. Tout, diront-ils, est déterminé dans les Bêtes ; les occasions d'agir, par leur situation ; la faim, par les besoins ; les moyens, par l'éspèce de mouvemeent auquel la machine est propre ; et le mouvement, par l'action d'une intelligence infinie. Hé bien, une âme alors devient inutile : la retrancher, c'est donc ôter une superfluité. La métaphysique me fournit une cinquième difficulté.

          Oh ! pour la Métaphysique, cher Oncle, dit la Comtesse, je vous demande grâce. Je crois sans peine que la science qui traite des esprits, n'est pas favorable à l'âme des Bêtes. C'en est donc fait, je me rends, et ne crois plus dans elles que des machines sans intelligence, que j'abandonne à leurs aveugles ressorts. Puisque Badine n'est désormais qu'une jolie machine aux yeux de sa maîtresse, je pense que M. de Villemont n'aura pas de peine......Non, Madame, lui dit le Chevalier, vous avez prononcé l'arrêt ; j'y souscris sans peine ; ou plutôt, ne pourrait-on pas terminer cette converstion par où M. le Marquis a débuté, en disant que la question des Bêtes sera toujours un mystère pour l'Homme, comme l'Homme en sera toujours un pour lui-même ?

          Cette réflexion maligne était propre à faire évanouir tout le fruit des raisonnements du Marquis : aussi celui-ci, prompte à la relever : M. le Chevalier, dit-il, ne mettons point du mystère où la raison n'en voit pas. Les principes que j'ai avancés me paraissent certains ; si vous pensez autrement, attaquez-les : je suis prêt à les défendre; mais si vous les admettez, ce n'est point une conséquence vague et trompeuse qu'il s'agit d'en tirer ; pour moi, voici ce que j'en conclus : Si l'on peut, sans l'entremise d'une âme, expliquer les opérations des Bêtes, et qu'on ne puisse leur en supposer une, sans s'engager dans des difficultés insurmontables, le parti le plus sage est sans doute de les croire sans âme. Première conclusion.

          Si les Bêtes n'ont point d'âme, et qu'on soit forcé d'en reconnaître dans l'Homme, c'est donc en vain qu'on prétend, ou faire monter les Bêtes au niveau des Hommes, ou faire descendre les Hommes au rang des Bêtes : leurs natures sont différentes, leurs destinées doivent l'être. Seconde conséquence. 

          Donc on ne peut pas conclure de ce que tout périt dans les Bêtes avec le corps, que la même chose arrive dans les Hommes.

          Donc les devoirs que nous impose la croyance de notre immortalité sont réels, indispensables, et non pas des devoirs imaginaires, comme on desirerait se le persuader.

          Ces derniers mots, que Villemont ne crut ajouter que pour le piquer, lui furent très sensibles. Monsieur, reprit-il froidement, je ne cherche pas à me cacher mes devoirs ; je n'en connais pas d'autres que ceux de l'honnête homme, et je crois les remplir. Vous ne donnez pas sans doutes dans les faiblesses de ces dévots imbécilles, qui s'imaginent que le Très-Haut est jaloux des hommages de quelque vers de terre tels que nous. Dieu se suffit à lui-même. Notre culte lui doit être indifférent, et il serait moins grand à mes yeux, s'il recevait ou de la gloire de nos hommages ou du chagrin de leur refus.

          Cher Chevalier, lui répliqua le Marquis, de vains sophismes vous font illusion, et la plupart de ceux qui veulent s'exempter de tout devoir à l'égard de Dieu, en cherchent comme vous, la dispense dans la haute iddée qu'ils s'en forment ; idée fausse, et par conséquent vain prétexte, dont nous ferons, si vous le désirez, le sujet d'une autre conversation.

          La fin de celle-ci, mon cher Mentor, doit être aussi celle d'une aussi logne Lettre, sur laquelle je vous prie de me dir votre sentiment. Mille excuses sur la longueur, je n'ai pas le temps d'être plus court. J'ai l'honneur d'être? etc.

                                          FIN.   

 

 

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